Par Hiba Sérine A.K. Henry Ford, le patron du groupe américain éponyme, a démocratisé l'automobile et inauguré une nouvelle ère économique. 100 ans après, cette prestigieuse marque de voitures risque de mettre la clé sous le paillasson… La Ford T a engendré une révolution industrielle d'un siècle. Première voiture accessible à tous en raison de son prix bas, grâce à un nouveau mode de production, elle a inauguré l'ère de la consommation de masse. Avec elle, Henry Ford a connu le succès, et son groupe automobile est devenu un géant mondial. Mais un siècle après le lancement de la production de la Ford T, le 12 août 1908, l'heure n'est plus à la fête pour Ford comme pour l'ensemble des constructeurs automobiles. Le réchauffement climatique et la hausse du prix du pétrole leur imposent un défi majeur, et menacent de mettre un terme au conte de fée initié par le succès de la Ford T.En 1908, Henry Ford lance la Ford T. Agé de 45 ans, il gère depuis deux ans l'entreprise fondée en 1903 à Detroit, dans le Michigan. Ford a déjà produit un véhicule remarqué, le modèle A. Avec le véhicule T, Henry Ford révolutionne l'industrie et démocratise l'automobile. Il s'inspire de la théorie de Frederick Winslow Taylor. Cet ingénieur américain prône alors d'organiser la production industrielle de manière scientifique, en confiant aux ouvriers des tâches simples, dont l'exécution est chronométrée. Cette doctrine a marqué les méthodes de production tout au long du siècle. Son aboutissement sera l'organisation du travail tout au long d'une chaîne de montage. Grâce à cette organisation et à la production de pièces détachées standardisées, Ford produit plus de véhicules en moins de temps, et à un prix inférieur. Le patron du constructeur automobile décide par ailleurs d'augmenter les salaires de ses ouvriers, pour leur permettre de devenir clients de la marque. Son pari s'avère gagnant. Dès sa mise sur le marché, le 1er octobre 1908, le modèle T s'arrache. Il est exporté à Londres un mois plus tard. Cinq ans après, la Ford T circule aussi en Chine, en Indonésie, au Siam et au Brésil. Elle arrive en France en 1916. La moitié des voitures vendues aux Etats-Unis en 1920 sont des Ford T. En vingt ans de commercialisation, 15 millions d'exemplaires de la voiture sont sortis des usines. La recette de ce succès a fonctionné tout au long du XXe siècle. Mais aujourd'hui, la conjoncture n'est plus aussi favorable pour Ford, comme pour les autres constructeurs automobiles. La hausse des prix des matières premières alourdit leurs coûts de production, et pèse sur leurs marges. Les ventes de voitures fléchissent aux Etats-Unis comme en Europe. Seuls les marchés émergents s'équipent encore massivement. Mais le défi majeur réside dans l'adaptation de l'industrie automobile au réchauffement climatique. Le prochain véhicule révolutionnaire pourrait être propre et intelligent, grâce à nombre d'équipements électroniques. Lors du dernier salon mondial des technologies de Las Vegas, en janvier dernier, General motors a déjà proposé un prototype de ce type, capable également de se déplacer sans conducteur. Pourquoi une faillite des constructeurs américains est possible General Motors, Ford et Chrysler sont confrontés à la plus grave crise de leur histoire. Les rumeurs de mise en faillite se multiplientLes Big Three, General Motors, Ford et Chrysler, qui ont longtemps régné sans partage sur le marché automobile nord-américain, sont dans une situation inextricable. Touchés par la hausse du prix des carburants et par le ralentissement de l'économie américaine, ils ne sont plus à l'abri d'une mise en faillite. Une situation impensable il y a encore quelques mois ! Quelle est la situation de l'automobile américaine ? Si les difficultés de General Motors (GM), Ford et Chrysler - les trois piliers de l'industrie automobile américaine - ne datent pas d'hier, elles ont pris une ampleur sans précédent depuis l'éclatement de la crise des subprimes. En effet, l'effondrement du marché de l'immobilier a rejailli sur les ventes de pick-up, très utilisés dans le secteur de la construction.Dans le même temps, l'envolée des prix de l'essence au-dessus de 4 dollars le gallon (3,7 litres) s'est traduite par une désaffection des automobilistes pour les gros véhicules (4 x 4, SUV, mini-vans...) gourmands en carburant. Or, ce type de véhicule représente plus de 60 % des ventes des constructeurs américains. Selon le cabinet Autodata, les ventes d'automobiles aux Etats-Unis, toutes marques confondues, ne devraient pas dépasser 14,5 millions d'unités en 2008, alors que les capacités de production s'élèvent à 18,3 millions. L'industrie s'achemine donc vers sa plus mauvaise année depuis la crise de 1991-1993. Les constructeurs américains sont les plus touchés. Les ventes de Chrysler rétrogradent ainsi de 23 % depuis janvier, tandis que la baisse atteint 16 % chez GM et 14 % pour Ford. Alors que les parts de marché des Big Three totalisaient 70 % à la fin des années 1980, celles-ci sont tombées à 42,7 %. Dans le même temps, les Japonais et les Coréens ont pris 49 % du marché nord-américain. A quand un retour aux bénéfices ? Au cours des trois dernières années, les Big Three ont cumulé un total de 70 milliards de dollars de pertes. Et, en dépit d'un effort accru de restructuration qui a permis de combler une partie de l'écart en termes de compétitivité avec les constructeurs asiatiques, la perspective d'un retour durable aux bénéfices s'éloigne. Ford ne renouera pas avec les profits en 2009, contrairement à son plan de marche initial, et rien qu'au deuxième trimestre 2008 le groupe de Dearborn a accusé un déficit net de 8,7 milliards de dollars. GM a fait pire, avec une perte nette trimestrielle de 15,5 milliards : du jamais-vu !En plus de la pratique de rabais et des ventes en crédit-bail qui ont fini par laminer leurs marges, les Américains sont désavantagés par le poids des pensions de retraite et du remboursement des frais médicaux qu'ils versent à leurs salariés. L'an dernier, GM et Ford ont ainsi déboursé plus de 47 et 24 milliards de dollars. Certes, ils ont renégocié pour quatre ans leurs accords (et obtenu des baisses de salaires en contrepartie) avec le puissant syndicat de l'UAW (United Auto Workers), mais ceux-ci continuent de leur coûter beaucoup d'argent.En conséquence, GM ne vaut plus que 5,8 milliards de dollars en Bourse : 4 fois moins que Renault et 25 fois moins que Toyota. Comment les Big Three peuvent-ils s'en sortir ? Dans le contexte actuel, ils vont devoir encore réduire leur capacité de production en Amérique du Nord. Celle-ci pourrait baisser de 1,9 million d'unités dans les six ans à venir. Cela va se traduire par de nouvelles suppressions de postes, alors que les effectifs des trois géants de Detroit ont déjà diminué de 25 % depuis 2000 ; la palme revenant à GM, avec 70.000 emplois supprimés. Mais, surtout, les géants américains vont devoir repenser leurs gammes afin de concevoir, sans trop dépenser, des produits mieux adaptés aux attentes des consommateurs. GM veut désormais privilégier les véhicules plus compacts, plus légers et économiques. De même, Ford va reconvertir trois sites jusque-là dédiés aux 4 x 4 et pick-up afin d'y produire des berlines, et il ajoutera à son offre américaine six modèles issus de sa gamme européenne.Ce travail sur les modèles passe aussi par une réorganisation du portefeuille de marques. Beaucoup trop nombreuses chez General Motors (une quinzaine) ou chez Ford, qui a cédé Aston Martin, Jaguar et Land Rover (ces deux dernières ayant été rachetées par l'indien Tata Motors pour 2,3 milliards de dollars) et qui chercherait à vendre Mazda et Volvo. Même son de cloche chez Chrysler, qui envisage de faire passer sa gamme de trente à quinze modèles, autour de trois marques (Chrysler, Dodge et Jeep). Faut-il s'attendre à des alliances ou à des fusions ? Rien ne garantit à l'avenir que les Américains pourront continuer à faire cavalier seul. Mais, dans un pays où l'automobile s'apparente à un art de vivre, on n'est pas près de voir GM ou Ford passer sous pavillon étranger, même si cela fut le cas de Chrysler. A ce jour, seules des coopérations industrielles ou technologiques sont officiellement à l'étude. Toutefois, la rumeur évoque des discussions en coulisse entre GM et Ford en vue d'une fusion. D'autres imaginent un rapprochement entre Chrysler et Ford. Car la stratégie du fonds d'investissement Cerberus (qui a racheté Chrysler à l'allemand Daimler) est de restructurer le constructeur pour mieux le revendre. Une faillite est-elle envisageable ? " Les Big Three ont de quoi tenir en 2008, mais, au-delà, de sérieux doutes subsistent ", avertit Peter Hastings, analyste chez Morgan Keegan, interrogé par Bloomberg. Car, malgré les propos de leurs directions, qui se veulent rassurantes, l'inquiétude grandit. Sur General Motors tout d'abord. Le géant de Detroit disposait à fin juin d'une trésorerie estimée à 21 milliards de dollars, mais il dépense chaque trimestre 3 milliards. A ce rythme, il ne pourra tenir que jusqu'en 2010. Ford est mieux loti, avec une trésorerie de 26,6 milliards de dollars à fin juin, à laquelle s'ajoutent 11,5 milliards de lignes de crédits négociés. Toutefois, la moitié de cette somme pourrait être engloutie dans les dix-huit mois à venir. La situation de Chrysler est la plus inquiétante. Sans les 10 milliards de dollars injectés par Cerberus, le plus petit des constructeurs américains serait déjà en faillite. D'ailleurs, certains observateurs pensent que ce n'est qu'une question de temps. Chrysler pourrait même choisir de se placer volontairement sous la protection du chapitre 11 de la loi sur les faillites, pour apurer ses dettes. Quant à son actionnaire Cerberus, en plus des pertes de Chrysler, il doit éponger celles de GMAC, la filiale de crédit automobile de GM (dont il a pris le contrôle, avec 51 % du capital).