L'un des chapitres les plus sombres de l'histoire de l'Espagne va pour la première fois faire l'objet d'investigations officielles: le juge Baltasar Garzon a décidé d'ouvrir jeudi une enquête sur les atrocités commises durant la guerre civile puis sous la dictature franquiste. Le célèbre magistrat de l'Audience nationale explique dans un document de 68 pages qu'il est habilité à enquêter sur l'exécution ou la disparition de dizaines de milliers de personnes pendant la guerre entre 1936 et 1939 et sous la dictature du général Francisco Franco. Quelque 500.000 personnes, selon les estimations, sont mortes au cours de la guerre civile et chacun des camps belligérants a perpétré des atrocités contre des civils: les partisans du général Franco, qui s'est élevé contre un gouvernement républicain de gauche élu et finira par le renverser, et ceux qui soutenaient ce gouvernement. Baltasar Garzon s'est rendu célèbre pour avoir instruit des dossiers relatifs à des faits de terrorisme et de crimes contre l'humanité, notamment contre l'ancien dictateur chilien Augusto Pinochet en 1998 et le dirigeant d'Al-Qaïda Oussama ben Laden en 2003. Il a agi conformément à l'observation espagnole du principe dit de "justice universelle", en vertu duquel des crimes contre l'humanité peuvent faire l'objet de poursuites même si les faits présumés ont été commis dans un autre Etat. Dans le nouveau dossier auquel il s'attelle, le magistrat avance qu'une campagne systématique a été menée par le régime franquiste pour éliminer ses opposants et cacher leurs corps. Pour lui, il s'agit d'un critère constituant la base d'une instruction contre des crimes contre l'humanité. Le juge cite feu Franco et 34 autres généraux ou membres de son gouvernement comme les instigateurs de cette campagne. Il ordonne que leurs certificats de décès lui soient montrés afin de pouvoir certifier qu'ils ne peuvent pas être tenues pour responsables des atrocités. Mais il demande aussi au ministère de l'Intérieur d'identifier les membres importants de la Phalange espagnole, organisation s'inspirant du fascisme italien associée au régime franquiste, afin de déterminer s'ils peuvent être inculpés, ou, s'ils sont morts, si l'extinction de l'action pénale à leur encontre peut être déclarée. Baltasar Garzon ordonne l'ouverture de 19 fosses communes, dont celle qui contiendrait les restes du poète Federico Garcia Lorca, qui a été exécuté dans les premiers jours de la guerre. Le magistrat s'intéresse essentiellement aux personnes tuées par le camp franquiste durant la période. Il note que le régime de Franco a procédé à un comptage minutieux des civils favorables au général tués par les républicains et leur a offert un enterrement décent. L'historien britannique Paul Preston, spécialiste reconnu de la guerre civile espagnole, a estimé ce nombre aux alentours de 55.000.