Il y a 21 ans, jour pour jour, Kateb Yacine, un des plus grands écrivains algériens d'expression française mourut un 28 octobre 1989 d'une leucémie foudroyante. L'auteur du livre-phare, "Nedjma" s'éteignit à l'âge de 60 ans. Ecrivain iconoclaste, Kateb Yacine - qui n'était pas spécialement prolifique - a fait pratiquement une seule œuvre, " Nedjma" dans laquelle il a exprimé est sa vision du colonialisme et celle des libertés individuelle et collective.Le roman qui n'obéit aucunement à une écriture classique, du fait que la trame ne présente ni intrigue ni dénouement, est classé parmi le genre " Nouveau roman", une littérature en vogue vers les années 50 notamment avec Tristan Zara et André Breton. Dans son livre il s'agissait d'aller au-delà du récit lui-même pour explorer l'univers de l'écriture proprement dite. C'est-à-dire que le texte littéraire lui-même et à lui seul, a un sens sans recourir aux significations d'une trame avec des personnages vivant une histoire sur fond de bouleversement. Le livre qui est traduit dans plusieurs langues est jusqu'à ce jour enseigné aussi bien dans les universités étrangères qu'algériennes. Féministe, " le keblouti " s'est toujours rangé du côté des plus faibles. N'a-t-il pas dit à propos du livre de Yamina Mechkara, " La grotte éclatée " qu'il a préfacé, " Une femme qui écrit vaut son pesant d'or " ? Résolument révolutionnaire, l'auteur de "L'homme aux sandales de Caoutchou", a fait savoir aux Français dans leur propre langue, le refus de tout un peuple pour l'asservissement et l'avilissement. Né le 6 août 1929, à Constantine, Kateb Yacine a très tôt évolué dans un univers poétique et musical sa mère qui perd la raison après les événements de mai 45, excellait dans cette littérature orale. Entre 1934 et 1935, le jeune Kateb au nom prédestiné -littéralement écrivain- entre à l'école coranique de Sedrata puis à l'école française (à Lafayette Bougaa en basse Kabylie, actuelle wilaya de Sétif) où sa famille s'est installée, puis en 1941, comme interne, au collège Albertini (Sétif) puis Kerouani après l'indépendance. Il se trouve en classe de troisième quand éclatent les manifestations du 8 mai 1945 auxquelles il participe et qui s'achèvent par massacre de plus de 40.000 algériens par la police et l'armée françaises. Trois jours plus tard il est arrêté et détenu durant deux mois. Exclu du lycée, traversant une période d'abattement, plongé dans Baudelaire et Lautréamont, son père l'envoie au lycée de Annaba (ex-Bône). C'est là qu'il vivra un total bouleversement avec la rencontre de " Nedjma " (l'étoile), une cousine déjà mariée avec laquelle il vécut " peut-être huit mois ", confiera-t-il publié dans son premier recueil de poèmes en 1946. Cette rencontre d'un amour impossible va lui servir de prétexte pour dire son amour d'abord pour l'Algérie, la métaphore de Nedjma ensuite pour cet amour déçu. En 1947 Kateb arrive à Paris, " dans la gueule du loup " et prononce en mai, à la Salle des Sociétés savantes, une conférence sur l'Emir Abdelkader, adhère au Parti communiste algérien. Au cours d'un deuxième voyage en France il publie l'année suivante Nedjma ou le Poème ou le Couteau (" embryon de ce qui allait suivre ") dans la revue Le Mercure de France. Journaliste au quotidien Alger républicain entre 1949 et 1951, son premier grand reportage a lieu en Arabie saoudite et au Soudan (Khartoum). À son retour il publie notamment, sous le pseudonyme de Saïd Lamri, un article dénonçant l'" escroquerie " au lieu saint de La Mecque. Après la mort en 1950 de son père, Kateb Yacine est, en 1952, docker à Alger. Puis il s'installe à Paris jusqu'en 1959, où il travaille avec Malek Haddad, se lie avec M'hamed Issiakhem et, en 1954, s'entretient longuement avec Bertold Brecht. En 1954 la revue Esprit publie " Le cadavre encerclé " qui est mis en scène par Jean-Marie Serreau mais interdit en France. Nedjma paraît en 1956 (et Kateb se souviendra " de la réflexion d'un lecteur : C'est trop compliqué, ça. En Algérie vous avez de si jolis moutons, pourquoi vous ne parlez pas de moutons ?). Durant la guerre de libération, Kateb Yacine, harcelé par la Direction de la surveillance du territoire, connaît une longue errance, invité comme écrivain ou subsistant à l'aide d'éventuels petits métiers, en France, Belgique, Allemagne, Italie, Yougoslavie et Union soviétique. Assumant complètement la langue française dans laquelle il s'était toujours exprimé, Kateb Yacine la juge comme étant rien d'autre qu' "un butin de guerre".