L'Inde et le Pakistan se sont livré mardi leur plus grave joute diplomatique depuis les attentats de Bombay, New Delhi accusant des officines de l'Etat pakistanais d'avoir "soutenu" ces attaques et Islamabad prévenant que ces "allégations" attisaient les tensions. Depuis les attentats islamistes qui ont frappé fin novembre la mégalopole-symbole du "miracle" économique indien, les puissances nucléaires d'Asie du Sud multiplient les échanges acrimonieux mais sans prendre de mesures radicales pouvant les conduire à se faire la guerre. Le Premier ministre indien Manmohan Singh a toutefois trouvé "suffisamment de preuves montrant que, vu la sophistication et la précision militaire des attaques de Bombay, elles avaient forcément reçu le soutien de certaines agences officielles au Pakistan". Devant les chefs de gouvernement des Etats fédérés indiens, M. Singh a accusé "le Pakistan de sponsoriser (et) d'utiliser le terrorisme comme un instrument de (sa) politique d'Etat", répétant que ce pays "avait dans le passé encouragé et offert un sanctuaire à des terroristes hostiles à l'Inde". "Malheureusement, nous ne pouvons pas choisir nos voisins", a déploré cet Indien sikh né en 1932 dans une partie du Pendjab devenue territoire pakistanais lors de la Partition du sous-continent en 1947. D'habitude modéré, il a même fustigé "l'hystérie guerrière attisée par le Pakistan". Le ministère pakistanais des Affaires étrangères a répliqué à cette "offensive propagandiste" de l'Inde en "rejetant catégoriquement des allégations malencontreuses" qui vont "attiser les tensions et ruiner toute perspective d'enquête sérieuse et objective sur les attentats de Bombay". Cette guerre des mots fait suite à la transmission lundi par New Delhi à Islamabad de preuves "accablantes" mouillant des "éléments pakistanais" et dénonçant une complicité "probable" de hiérarques pakistanais dans les attentats de Bombay. L'Inde, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne imputent ce carnage (172 morts, dont neuf assaillants) au Lashkar-e-Taïba, un groupe islamiste armé clandestin pakistanais. Ce mouvement --qui a nié toute responsabilité-- aurait entraîné le commando de 10 assaillants, tous Pakistanais selon New Delhi, épaulés par des "éléments" de "l'establishment" pakistanais, c'est-à-dire liés aux services de renseignement, affirment des responsables officiels indiens. "Calomnier le Pakistan ou quelque institution de l'Etat est inacceptable et le plus sûr moyen de fermer les routes de la coopération dans la lutte contre cette menace" terroriste, a averti la diplomatie pakistanaise. "Le Pakistan est une victime du terrorisme (...) pas un Etat qui sponsorise le terrorisme", a-t-elle rappelé. Toutefois, l'Inde se garde bien d'accuser explicitement le régime démocratique d'Islamabad, ni les redoutables services secrets (Inter-services intelligence, ISI) d'avoir directement trempé dans les attentats. En fait, New Delhi s'inquiète du faible pouvoir du président pakistanais Asif Ali Zardari, déstabilisé par le terrorisme islamiste et par le poids historique de l'armée. "Plus un gouvernement est fragile, plus il risque d'agir de manière irresponsable", a souligné M. Singh. L'Inde et le Pakistan, nés les 14 et 15 août 1947 de la partition bâclée et sanglante de l'Empire britannique des Indes, se sont fait trois fois la guerre --dont deux à cause du Cachemire-- et ont frôlé en 2002 une quatrième confrontation, potentiellement atomique. Pour l'instant, les "frères ennemis" ne peuvent pas se risquer à un conflit, relèvent experts et diplomates, même si leur laborieux processus de paix est de facto gelé. Alors, New Delhi maintient la pression sur Islamabad en lançant une offensive diplomatique à destination de la communauté internationale, notamment des Etats-Unis, qui soutiennent largement l'Inde sous le choc de son "11-Septembre".