La Turquie a mis lundi la pression sur les Européens pour qu'ils accélèrent ses négociations d'adhésion à l'Union européenne, largement ensablées, menaçant à défaut de revoir son soutien au projet très stratégique de gazoduc Nabucco, qui évite la Russie. "J'espère qu'il y aura un bond en avant en 2009" des négociations d'adhésion de mon pays à l'UE, qui sont une "grande priorité pour la Turquie", a déclaré le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, lors d'une visite à Bruxelles, sa première en quatre ans, destinée à dynamiser les pourparlers. La Turquie n'a ouvert à ce jour que 10 des 35 chapitres thématiques qui jalonnent les négociations, dont seulement deux en 2008. Les discussions sont rendues difficiles par la non reconnaissance de la République de Chypre par Ankara, par la lenteur des réformes démocratiques en Turquie et par l'hostilité de plusieurs pays européens à l'idée même d'une entrée de ce pays dans l'UE. Parmi les chapitres non encore ouverts figure celui portant sur les questions énergétiques, en raison de fortes réserves des Chypriotes grecs, entrés dans l'UE en 2004. Signe de l'impatience grandissante d'Ankara, M. Erdogan a lié ce chapitre à l'avenir d'un projet clé pour l'Europe, la construction du gazoduc Nabucco de 3.300 km. S'il voit le jour, ce gazoduc permettra d'approvisionner les Européens en gaz de la mer Caspienne qui transiterait par la Turquie en contournant la Russie. Si nous sommes confrontés à une situation dans laquelle le chapitre sur l'énergie est bloqué, alors nous réexaminerons notre position" sur Nabucco, a dit M. Erdogan, lors d'une conférence. Le président de la Commission européenne José manuel Barroso lui a répondu un peu plus tard, après l'avoir rencontré, en rejetant tout lien: "Nous ne devrions pas lier la question de la sécurité énergétique avec un élément particulier dont nous discutons dans le cadre des négociations d'adhésion", a-t-il dit devant la presse, aux côtés de M. Erdogan. Le projet Nabucco a repris de l'importance pour l'Europe avec l'interruption des livraisons de gaz russe à l'Europe via l'Ukraine, qui a remis en lumière l'extrême dépendance de l'UE à l'égard du russe Gazprom.Mais nombre d'experts s'interrogent sur sa viabilité, car l'approvisionnement en gaz de Nabucco est loin d'être assuré. Des doutes que partagent aussi la Turquie, qui n'a jamais été enthousiaste pour un projet faisant d'elle un pays de transit alors qu'elle estime avoir elle-même grand besoin du gaz de la Caspienne. De manière générale, le Premier ministre turc a promis de continuer les réformes que lui demande l'Europe pour entrer dans l'UE et critiqué les opposants à l'adhésion de son pays, en France, en Autriche ou en Allemagne.M. Erdogan a pu encore s'en rendre compte en rencontrant dans la journée le président du Parlement européen Hans-Gert Pöttering. Dans une interview publiée lundi dans le quotidien allemand Hamburger Abendblatt, le conservateur allemand estime, à l'instar du président français Nicolas Sarkozy, qu'un "partenariat privilégié serait plus approprié qu'une adhésion pleine et entière". Les mois qui viennent seront décisifs dans les négociations puisque les Européens attendent de la Turquie qu'elle accepte d'ici à la fin de l'année d'appliquer l'Union douanière UE-Turquie à la République de Chypre, et lève du même coup l'interdiction d'accès dans les ports et aéroports turcs faite aux navires et avions chypriotes grecs. Un blocage persistant pourrait être lourd de conséquences. "S'ils n'ouvrent pas d'ici là leur ports et aéroports, les Chypriotes (grecs) vont à coup sûr demander des mesures supplémentaires", a estimé un diplomate européen.