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Enjeux énergétiques et gaziers : L'or bleu et les comportements troublants
Publié dans El Watan le 17 - 04 - 2010

Depuis la crise du gaz entre la Russie et l'Ukraine, le débat sur le projet de gazoduc « Nabucco » est relancé. Il permettrait à l'UE de réduire sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie et dont la construction du tronçon Ankara-Vienne pourrait débuter en 2011.
Le projet Nabucco a été conçu comme un moyen de contourner la contrainte logistique et géopolitique de la Russie qui tendait à rendre l'Europe centrale et occidentale dépendante du système de gazoducs russes, appelé la route de « l'or bleu ». Pour décrire le système de gazoducs, on utilise souvent la métaphore d'une main avec ses cinq doigts tendue vers l'Europe. Les doigts représentent les cinq gazoducs, alors que la paume de la main représente la Russie. Rappelons que la fourniture gazière de la Russie à l'Union européenne s'élève environ à 25% de la demande européenne et que le marché européen est aujourd'hui le principal débouché pour le gaz russe. Les infrastructures de gazoducs ont un tracé qui découle de cet état de fait logistique, industriel et contractuel : les champs de gaz qui approvisionnent l'Europe sont situés en Sibérie occidentale, tous les gazoducs vont de Russie vers l'Europe occidentale.
Il y a, en effet, trois grands gazoducs historiques et deux autres en construction : le North European Gas Pipeline (NEGP) appelé « Nord Stream » passant sur les fonds de la Baltique jusqu'en Pologne pour alimenter le Nord de l'Europe ; et le gazoduc « South Stream » qui passe, quant à lui, par le sud de l'Europe (Bulgarie, Serbie, Italie…). Nabucco est avant tout un projet dont la justification est géopolitique. Il est historiquement né des projets des sociétés gazières d'Europe centrale et orientale (Hongrie, République tchèque, Bulgarie, Allemagne…) dont la pente stratégique était de se défaire de la mainmise russe sur leurs économies via les approvisionnements énergétiques. Le tracé de Nabucco a été un exercice relativement subtil, car il fallait en même temps renoncer à la manne gazière de la Russie.
D'autre part, les différentes administrations américaines, qui ont très ouvertement soutenu Nabucco face aux solutions alternatives russes, voulaient à tout prix éviter que ce projet soit un vœu iranien.
Le gaz russe et iranien inévitable pour l'Europe
Le projet Nabucco devenait donc un exercice difficile : contourner la domination russe, éviter de faire le jeu de l'Iran et se passer du gaz des deux… Les concepteurs politiques du projet ont ainsi pensé pouvoir adosser Nabucco au seul gaz de la mer Caspienne, du Kazakhstan, du Turkménistan, de l'Ouzbékistan et surtout de l'Azerbaïdjan. Tel qu'il est actuellement établi, le tracé de Nabucco partirait donc d'Azerbaïdjan, éviterait le système et le territoire russe, passerait par la Géorgie, puis la Turquie par le plateau d'Anatolie pour ensuite franchir la mer de Marmara afin de se connecter sur le système bulgare puis roumain et d'arriver au grand nœud de gazoducs de Baumgarten, situé à quelques kilomètres de Vienne.
Parmi les actionnaires de Nabucco, on trouve à peu près toute la profession gazière de la « Mittel Europa » danubienne : les Hongrois, l'autrichien OMV, la compagnie turque, les Bulgares, les Roumains. Gaz de France-Suez, qui faisait initialement partie du projet, s'est ensuite retiré (à moins qu'un différend franco-turc l'en ait retiré… !), et pourrait maintenant y revenir.
L'Union européenne a une production de gaz (toutes sources confondues) qui s'établit aujourd'hui autour de 40% de sa demande. La production gazière européenne ne dépasse pas en effet les 200 milliards de m3/an, alors que la demande est de l'ordre de 500 m3/an. A partir de 2010, l'UE devra donc importer 50 à 60% de gaz. Le problème n'est donc pas celui de la demande mais des ressources. En effet, lorsque l'on regarde les ressources gazières des pays qui seront directement connectés à Nabucco, on constate que les réserves ne dépassent pas 10 000 milliards de mètres cubes, ce qui représente environ 20 ans de la demande européenne à 100%. Le gazoduc Nabucco, extrêmement capitalistique, a vocation, quant à lui, à être construit pour une pérennité beaucoup plus de 50 ans !
Les promoteurs de Nabucco se sont donc rendu compte que celui-ci n'était tout simplement pas faisable aux bornes des seules ressources de la Caspienne. Pour cette énorme « machine politique » anti-Gazprom, anti-russe et anti-iranienne, le projet Nabucco ne pourra finalement se faire sans les réserves en gaz de la Russie, et encore moins sans le gaz de l'Iran dont son sous-sol recèle pas moins de 28 000 milliards de mètres cubes, de quoi satisfaire l'Union européenne pendant 45 ans.
L'Algérie a du gaz ! Y a-t-il encore des idées chez les Européens ?
Comme la demande européenne va croître d'ici à 2020 de quelque 200 milliards de mètres cubes, tout besoin européen de gaz nouveau commencera d'abord par chercher des quantités disponibles d'origine russe ou algérienne. Le gazoduc South Stream est l'un des premiers projets menacés par les difficultés de Gazprom à lever de la dette. Gazprom ne pourra pas assumer financièrement l'ensemble des projets dans lesquels il est impliqué, à l'instar du gazoduc Nord Stream. Celui-ci (qui traverse la mer Baltique par les eaux territoriales de différents pays de l'Union européenne dont les Etats baltes, la Suède ou la Finlande) est non seulement menacé par ces questions de financement mais également par une querelle entre l'Europe et la Russie à propos de la réalisation de l'étude d'impact environnemental.
L'Europe a demandé que celle-ci soit diligentée dans un cadre législatif et légal européen, ce à quoi s'oppose la Russie. L'Europe manque en effet d'interconnexions gazières comme elle manque d'interconnexions électriques. L'Europe manque aussi de plates-formes de stockage, ce qui permettrait d'emmagasiner du gaz lorsque le prix est bon marché et de le remettre sur le marché lorsque les prix augmentent. Il s'agit ainsi d'éviter des phénomènes de bulles et d'explosion des prix qui sont autant de flancs ouverts pour des phénomènes spéculatifs.
L'Algérie a investi sur un important programme d'interconnexion de réseaux énergétiques ayant pour but de souder les deux continents l'Afrique à l'Europe, d'importants projets ont vu le jour et d'autres le verront bientôt (les interconnexions par gazoducs sont déjà opérationnelles, d'autres sont en cours de réalisation, les interconnexions électriques aussi). Toutes les opportunités algériennes en la matière sont offertes à l'Union européenne pour s'en servir. Les capacités souterraines de stockage du gaz de Hassi R'mel, déjà liées au réseau de distribution européen par gazoducs gros diamètres, attendent des investisseurs pour prendre en charge la consigne et le stockage de grandes quantités de gaz naturel destinées à l'UE. Ce gaz provient de l'interconnexion de tous les gisements algériens et du gaz nigérian que transportera le « Transsaharien-pipe » en projet. Voilà, une solution pour résoudre les agaçantes pénuries russes de gaz qui paralysent de temps à autre l'activité sociale et économique de l'Union européenne en plein hiver !
Y. M. : Expert en énergie


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