La cinéaste Jacqueline Gozland vient de signer un DVD inédit qui s'intitule : " Reinette l'oranaise, le port des amours " (Arte Editions) 2009. Une nouveauté qui serait une rare pièce filmique consacrée à la musique judéo-arabo-andalouse en général et à son porte drapeau encore méconnue, Reinette l'oranaise. Le documentaire dépeint le portrait d'une femme que le lyrisme et les amours de tout bord avaient sauvée. Le portrait d'une égérie d'une musique populaire qui se jouait dans les cénacles fermés qu'occupaient exclusivement les hommes bien avant la guerre, comme le mémorable El Anka. Le documentaire va fouiller dans la mémoire infaillible de cette femme qui née comme sa compère Rémiti en 1915, d'une famille juive établie dans la région de l'ouest algérien, à Tiaret. A l'âge de deux ans, Sultana (la reine) Daoud est atteinte de cécité et s'adonne à l'adolescence au travail de cannage des chaises à l'école des aveugles. Une activité ingrate qui déplu à sa mère qui lui lançait alors une proposition prémonitoire : " Je veux que tu aies un métier qui t'égaye tout en égayant les autres. " Et bien voilà ! Dès l'âge de seize ans, Sultana Daoud est confiée au maestro de l'époque, Daoud qui gérait un petit café dans la ville d'Oran. A l'époque, dans les cafés qui fonctionnaient un peu comme un théâtre, étaient regroupés tous les acteurs du lyrisme, du parolier au musicien en passant par l'interprète, le chanteur etc….Ceux ci étaient à 99% tous des hommes. Mais la jeune Reinette qui fut alors troublé par les rythmes et les mesures qu'elle entendait dans ce cercle fermé, sera vite prise sous l'aile du maestro Daoud qui lui apprendra les rudiments de la musique classique algérienne. Pour parfaire son éducation musicale, elle s'initie à la derbouka, ce qui lui permet d'acquérir le sens du " mizan " (la mesure) et la maîtrise du chant. Puis, elle tâte de la mandoline, mais elle ne la ressent pas ; alors, sur proposition de son génial professeur, elle se tourne vers le luth, et là se produit une symbiose idéale avec cet instrument réservé aussi aux hommes par tradition. Heureuse de ses progrès, Reinette ne peut exulter car son cher maître affiche son intention d'ouvrir un établissement à Paris. Elle l'y suit mais, rapidement, la nostalgie prend le dessus. Partie en France quelques temps pour suivre son maître qui sera déporté par les Allemands en 1938, elle quitte définitivement l'Algérie en 1962 et ne connaît une reconnaissance publique qu'une vingtaine d'années plus tard. Le documentaire parcourt le répertoire arabo-andalou de la diva sur les accords d'un concert donné au New Morning à Paris : un spectacle leitmotiv qui met en scène l'égérie dans toute sa splendeur entourée de ses fidèles compagnons parmi lesquels le pianiste Mustapha Skandrani. Un autre visage que l'on découvre de Reinette est celui de la belliqueuse, avec ses coups de gueule répétés. La scène la plus frappante est lorsqu'une journaliste évoque un éventuel concert en Algérie : la douleur de l'exil rejaillit en colère, et elle refuse de répondre à sa question. Le ton âpre masque souvent une tendresse, et elle semble entretenir une relation d'intimité avec la réalisatrice qui, en toute transparence, conclut le film sur cette petite méchanceté amicale que l'artiste lui concède : " tu me casses les pieds ". Ses souvenirs, Reinette les raconte au creux d'un fauteuil, avec sa voix éraillée et ses lunettes noires pour tout reflet de sa mémoire. Ponctué par des intervenants comme le journaliste ex- rédacteur en chef de l'émission " Mosaïque " Mouloud Mimoun, le musicologue El Boudali Safir ou le pianiste Maurice El Médioni, le film revisite les coulisses d'une époque à travers cette carrière musicale unique qui renferme les larmes et le jasmin de sa terre natale, l'Algérie. " Je ferai tout ce qui dépend de moi pour protéger et agrémenter cette musique. Jusqu'à mon dernier souffle ", dit elle à son public. Elle le quittera dans un soupir en novembre 1998, en paix avec sa promesse. Rebouh H.