C'est une véritable " bombe cinématographique " qu'a fignolée le cinéaste marocain Noureddine Lakhmari avec son film sorti le 24 janvier dernier sur les écrans marocains, "Casa Negra", un titre antinomique de " Casa Blanca ". Faut tout de suite y voir le côté sombre voire lugubre de cette capitale économique qui porte très mal son nom, car tout n'est pas immaculé. Pour le dire et pour exceller dans le jeu des ombres et lumières, le réalisateur avait compté sur deux principaux techniciens, le directeur photo et l'éclairage car l'idée du départ étant de peindre les bas-fonds de cette capitale, son coté underground très peu visible dans la journée. Pour rester totalement dans cette ambiance sombre, Noureddine Lakhmari a misé sur la nuit "tous les chats sont gris " où tous les prismes de lecture ne sont pas accessibles. Les vautours, les déclassés, les laissés pour compte opèrent dans la nuit pour sauver leur peau. Dans " Casa Negra " qui est un film réaliste, l'auteur a investi le langage de la rue, celui des petites gens dont la vulgarité est non seulement avérée mais choquante. C'est parfois même du bruit, qu'a servi ce réalisateur grand admirateur de Scorsese qui a voulu son casting, dégagé des dogmes classiques des enseignements. Ses personnages qui étaient une pâte fraîche, il les a recruté dans la rue, pour ne pas avoir à subir les chichi des noms connus du monde du 7ème art et pour obtenir sa matière telle qu'il l'a perçue dans les rues. Absolument phénoménal, à peine sorti, le film crève les écrans à tel point qu'on aurait cru au prodige du retour du public vers les espaces sombres qu'il a désertés dans les quatre coins de la planète Afrique ! Et les chiffres en témoignent d'eux-mêmes d'ailleurs ! Du jamais vu depuis un quart de siècle ! Seulement deux petites semaines après sa sortie, il affichait déjà 64.000 entrées rien qu'au Mégarama. A ce rythme là, il pourrait bientôt égaler les 136.000 entrées de Marock, Numéro Un en 2006. Le dernier long-métrage de Noureddine Lakhmari a été d'ores et déjà récompensé dans deux festivals, notamment le prix du meilleur acteur remis à Omar Lotfi par le jury du festival du film marocain, au festival de Dubaï prix du meilleur acteur ex-aequo pour Omar Lotfi et son comparse dans le film, Anas albaz. L'hebdomadaire provocateur TelQuel ne s'y trompe pas en mettant le dernier Lakhmari en couverture. Il s'agit bien d'un phénomène rare qui vient de s'abattre sur le cinéma marocain. CASA NEGRA dépasse les bornes, et il était temps. Il vient de réussir l'exploit de libérer la langue du cinéma marocain. Sur le plan esthétique, il affiche un style moderne, rempli de références cinéphiliques. Mais surtout, il impose, enfin, le langage de la rue sur le grand écran. Le film est une histoire d'amitié entre deux jeunes casablancais, leurs aventures dans la rue, une incursion dans le monde de la nuit à Casablanca. Selon la presse locale, à la sortie des salles, les spectateurs sont en effet abasourdis. La réaction typique est, " c'est beau, mais c'est trop vulgaire ". Attaqué par les journalistes à ce sujet lors de la conférence de presse de CASA NEGRA au dernier Festival National en décembre dernier, Lakhamri affirmait pourtant s'être retenu: " Pendant la préparation du film, j'ai emmené mes acteurs dans les bars et les lieux malfamés de Casa. Je les ai laissés s'en imprègner et improviser sur le tournage. Ils y ont découvert une véritable poésie de la vulgarité. Et je vous assure que ce qui est dans le film est très soft par rapport à ce qui se dit dans nos rues." En prêtant l'écran à Karim et Adil (Anas Elbaz et Omar Lotfi) des jeunes paumés en quête d'argent facile, Lakhmari donne la parole, avec leurs mots, aux jeunes qui trainent dans nos rues. Ces jeunes qui vivent au jour le jour et ne croient en rien, qui ne votent pas, ni ne s'expriment par aucune action sociale. Ces jeunes à qui personne ne demande ce qu'ils ont à dire. Ces jeunes qui, aujourd'hui, affluent par milliers dans les salles pour voir enfin un film qui leur ressemble. Pas de doute que pour eux, CASA NEGRA est d'ores et déjà un film culte. Le succès de ce film démonte tous les discours des professionnels qui défendent l'idée d'une politique d'assistanat pour remettre le public en salle : çà vient spontanément quand les œuvres sont aussi ferventes ! Rachida Couri