La conquête de l'Ouest est de retour, cette fois en Chine, où elle convoie croissance, emplois et développement urbain des régions côtières vers les provinces intérieures. Cette tendance, qui rappelle par certains points les migrations vers l'Ouest au XIXe siècle aux Etats-Unis, pourrait réduire le profond fossé qui sépare les immensités négligées de l'intérieur du territoire chinois des régions côtières relativement prospères. C'est dans ces dernières que se sont largement concentrés les investissements du gouvernement chinois et des entreprises étrangères au cours des trente dernières années. A Chengdu, capitale de la province du Sichuan, le salaire net moyen est 20% moins élevé qu'à Shenzhen, l'une des villes les plus riches du pays, tout près de Hong Kong. La branche asiatique de Measurement Specialities, une entreprise produisant des capteurs électroniques, envisage ainsi de déménager ses activités impliquant le plus de main-d'oeuvre de Shenzhen à Chengdu. En février, le premier producteur mondial de semiconducteurs, Intel, annonçait la fermeture prochaine d'une usine à Shanghai pour renforcer ses activités d'assemblage et de tests à Chengdu. Ce mouvement, auquel participent des milliers d'entreprises, pourrait faire du centre et de l'ouest chinois les futurs foyers de croissance du pays. "La baisse de la demande mondiale va affecter la confiance des consommateurs dans les régions côtières très tournées vers l'export, mais la majorité des consommateurs des régions intérieures seront bien moins exposés à ce ralentissement", estime Qu Hongbin, chef économiste spécialiste de la Chine chez HSBC. Si les investissements en zone urbaine ont augmenté en janvier-février, par rapport à l'année précédente, de 15,4% dans l'est de la Chine, la hausse s'établit à 34,3% dans le centre et à 46,7% dans l'ouest, selon les statistiques du gouvernement. Sur la même période, la production de ciment a diminué de 4,6% dans l'est du pays alors qu'elle augmentait de 23,7% dans le centre et de 28,1% dans l'ouest. Inquiètes de voir les écarts se creuser entre la côte et l'intérieur des terres, les autorités chinoises ont lancé en 1999 une politique de développement vers l'ouest qui s'est accélérée avec l'arrivée au pouvoir du président Hu Jintao en 2002. Hu, tout comme son Premier ministre Wen Jiabao, a fait ses premières armes en politique en dirigeant une province de l'intérieur des terres. Outre des dépenses en infrastructures dans les régions rurales, Pékin a ainsi aboli la fiscalité agricole, instauré la gratuité de l'enseignement obligatoire et mis en place un système d'assurance médicale dans les campagnes. Récemment, les gouvernements provinciaux ont pour la première fois été autorisés à émettre des obligations. Les régions centrales et occidentales ont reçu des quotas plus élevés. "Depuis le lancement de ces réformes, la Chine se montrait plutôt timide dans la réduction des inégalités de revenus. A présent, les mesures mises en place commencent à porter leurs fruits", juge Yolanda Fernandez-Lommen, économiste de la Banque asiatique de développement, à Pékin.Pour maintenir cette tendance, ajoute-t-elle, il conviendra toutefois de réformer les procédures budgétaires pour fluidifier et augmenter les flux monétaires de Pékin vers les provinces ne parvenant pas à faire face aux besoins sociaux de leurs habitants. Il faudra également que le gouvernement central parvienne à étendre la couverture maladie à ces régions s'il souhaite inciter les habitants des campagnes à consommer, plutôt qu'à épargner en prévision d'une hospitalisation. Le séjour moyen à l'hôpital coûte actuellement l'équivalent de deux ans et demi du salaire d'un agriculteur. Quant aux grandes villes de la côte Est, elles semblent ne pas devoir s'inquiéter d'entrer en déclin face à la montée en puissance de l'Ouest. Tout indique l'esquisse d'un schéma classique dans lequel elles se débarrasseraient des activités manufacturières pour se concentrer sur les activités à plus forte valeur ajoutée. Intel, par exemple, va maintenir son siège ainsi qu'un centre de recherche et de développement à Shanghai. Whirlpool, qui a annoncé la semaine dernière la suppression de 600 emplois dans cette ville avec la fermeture d'une usine de machines à laver, va de même y conserver son siège régional.