Les Sud-Africains s'apprêtent à propulser à la présidence du pays Jacob Zuma, un leader controversé, longtemps dans la ligne de mire de la justice, ce qui suscite des inquiétudes pour les institutions d'une démocratie encore jeune. Quinze ans après l'accession au pouvoir de Nelson Mandela, l'Afrique du Sud organise mercredi ses quatrièmes élections générales multiraciales. Le Congrès national africain (ANC) au pouvoir est crédité de plus de 60% des intentions de vote et son chef Jacob Zuma quasiment assuré d'accéder à la tête de l'Etat. "D'un point de vue moral, il sera dans une position affaiblie en tant que président. Il ne pourra avoir une aura aussi forte que celle de Nelson Mandela", estime Dirk Kotze de l'Université d'Afrique du Sud (Unisa). L'image du chef de l'ANC a été écornée par ses démêlés à répétition avec la justice. En 2006, il a été acquitté lors d'un procès pour viol, et il vient de bénéficier, in extremis, de l'abandon de poursuites pour fraude et corruption à son encontre. Sans se prononcer sur le fond, le Parquet a jeté l'éponge en raison d'"abus de pouvoir" commis par le responsable de l'enquête. Ces scandales, ainsi que le démantèlement d'une unité d'élite de la police criminelle à la demande des partisans de Jacob Zuma, ont terni la réputation de l'ANC. Selon un récent sondage, 47% des électeurs font moins confiance au parti qu'en 1994.Et les propos de Jacob Zuma --selon lequel les juges de la Cour constitutionnelle "ne sont pas des dieux"-- n'ont pas rassuré ceux qui craignent un recul de l'indépendance de la justice au cours de sa présidence. Le principal parti d'opposition, l'Alliance démocratique (DA), a d'ailleurs appelé les électeurs à empêcher l'ANC de décrocher une majorité des deux tiers à l'Assemblée nationale qui lui permettrait de modifier la Constitution à sa guise. "Nos institutions, la justice en particulier, sont sous pression. Le fait que des politiciens aient essayé d'influencer les tribunaux d'une manière ou d'une autre est difficile à nier", reconnaît Adam Habib, du Conseil de recherches en sciences humaines. "Mais on ne doit pas en rajouter, car les institutions sont sous pression dans beaucoup de régimes politiques". Comme pour rassurer, Jacob Zuma a rappelé dimanche lors d'un meeting géant que son parti avait déjà plus de 66% des sièges au Parlement et ne s'en était "jamais servi pour amender la Constitution". "Nous continuerons de défendre et de promouvoir la Constitution et toutes les institutions démocratiques du pays", a-t-il ajouté dans un discours au ton conciliateur. Pour Adam Habib, les jeunes institutions démocratiques ont d'ailleurs prouvé leur capacité de résistance: les élections sont libres, l'opposition a la possibilité de faire campagne sans entrave et les médias peuvent enquêter sur les responsables politiques. Lorsque le président Thabo Mbeki a été contraint de démissionner par la direction de l'ANC en septembre, le pays a traversé la tourmente sans dégâts majeurs: un nouveau chef de l'Etat, Kgalema Motlanthe, a été rapidement désigné conformément à la Constitution, une des plus progressistes au monde, note-t-il. La formation en décembre du Congrès du peuple (Cope) par des dissidents de l'ANC a également créé "une nouvelle option" et ouvert l'espace politique, estime M. Kotze. "Si on se penche sur les élections dans leur ensemble et le rôle du Parlement ainsi que celui des partis politiques, la plupart des gens sont aujourd'hui plus optimistes qu'il y a un an", conclut-il.