Contre l'avis du parquet, un juge d'instruction de Paris a décidé d'ouvrir une information judiciaire pour "recel de détournement de fonds publics" concernant le patrimoine détenu en France par trois présidents africains de pays producteurs de pétrole, a-t-on appris mardi auprès du bureau du procureur. Procédure sans précédent, des poursuites sont donc susceptibles d'être déclenchées concernant les 39 propriétés et 70 comptes bancaires détenus en France par Omar Bongo, président du Gabon et ses proches, les 24 propriétés et 112 comptes bancaires du président du Congo-Brazzaville Denis Sassou-Nguesso. Le dossier concerne aussi les limousines achetées à Paris pour plus de 4 millions d'euros par le président de la Guinée équatoriale, Teodoro Obiang, et ses proches. Cette décision, rendue par la doyenne des juges du pôle financier de Paris Françoise Desset après une plainte de l'association Transparency France, devrait cependant faire l'objet d'un appel du parquet. Ce dernier demandait un refus d'informer, jugeant irrecevables les plaintes déposées. Dans ce cas, la chambre de l'instruction devra trancher et dans l'attente de son arrêt, il n'y aurait pas d'investigations. L'avocat des plaignants, Me William Bourdon, a cependant salué la décision. "C'est une décision sans précédent parce que c'est la première fois qu'une enquête judiciaire est ouverte concernant le détournement d'argent public imputé à des chefs d'Etats en exercice. Est désormais possible l'identification et la poursuite de ceux qui, inlassablement et sournoisement, appauvrissent leurs pays", a-t-il dit à Reuters. A ses yeux, la décision met en lumière l'inanité du projet de l'Elysée de supprimer le juge d'instruction. "Si le juge d'instruction était supprimé dans ce pays, une telle enquête n'aurait jamais eu une chance d'aboutir. L'appel est probable et le parquet devra alors assumer d'apparaître comme ce qu'il est, le bras armé de la raison d'Etat", a-t-il ajouté. La juge a accepté la plainte déposée en décembre par l'association Transparency International France, qui a selon elle le droit juridiquement d'agir, mais non celle d'un citoyen gabonais, Grégory Gbwa Mintsa, qu'elle juge irrecevable. Les biens ont déjà été minutieusement inventoriés par la police financière parisienne en 2007 dans une enquête préliminaire. Mais le procureur avait déjà classé sans suite cette première procédure, estimant alors que l'infraction n'était "pas suffisamment caractérisée". La procédure se déroule dans un climat tendu en Afrique, où deux Congolais qui voulaient porter plainte ont renoncé en expliquant avoir reçu des menaces. En janvier, Grégory Gbwa Mintsa a été emprisonné durant douze jours dans son pays. Me William Bourdon assure qu'un avocat de Paris se disant mandaté par le Gabon est venu lui proposer d'ouvrir un compte bancaire en Suisse bien garni pour son association, Sherpa, associée à la procédure. Les immeubles cossus du trésor africain sont devenus encombrants. Un hôtel particulier acheté près des Champs-Elysées pour 18,8 millions d'euros par l'épouse d'Omar Bongo, fille de Denis Sassou-Nguesso, a fait l'objet en 2007 d'un simulacre de "saisie" publique par des militants anticorruption. Les fonds ne peuvent venir, pour les plaignants, des salaires des présidents, mais ont forcément, à leurs yeux, été acquis avec de l'argent public détourné. Ils soulignent que le procès Elf à Paris en 2003 a démontré que les revenus tirés de l'"or noir" profitaient personnellement aux chefs d'Etats en question. Ces derniers nient toute malversation. Mais Omar Bongo n'a pas engagé à ce jour les poursuites en diffamation qu'annonçait son avocat, Me Patrick Maisonneuve. Denis Sassou-Nguesso a assuré qu'il ne possédait en propre que deux logements en France. Le reste, détenu par ses enfants, ne le regarde pas, a-t-il au Figaro en mars.