Echaudés par leurs investissements malheureux dans la finance et l'immobilier, en particulier aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, les fonds souverains (en anglais Sovereign Wealth Funds ou SWF) aux actifs gonflés par la hausse des cours du baril de pétrole cherchent à diversifier leur portefeuille en se tournant vers l'industrie. Avec leurs marques de tout premier plan, les fleurons de l'industrie allemande attirent particulièrement les convoitises des investisseurs du Golfe, comme l'atteste l'injection par Qatar Investment Authority de quelque 7 milliards d'euros dans les constructeurs automobiles Volkswagen et Porsche, en train de fusionner. Au bout du compte, le riche émirat gazier devrait détenir entre 17 % et 20 % du capital de la nouvelle structure. Le Qatar suit l'exemple d'Abou Dhabi qui a pris, au printemps, une participation de 9,1 % au capital du constructeur Daimler. Et le fonds souverain du Qatar, qui gère un patrimoine de 60 milliards de dollars (42,5 milliards d'euros), pourrait reprendre les illustres chantiers navals polonais de Szczecin et Gdynia, en liquidation. Malgré la crise financière à laquelle les économies du Golfe n'ont pas échappé et les pertes considérables enregistrées par leurs fonds aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, la valeur de leurs actifs a bien résisté en 2008. La hausse du prix du pétrole a gonflé leurs liquidités. En 2009, les économies des pétromonarchies arabes du Golfe auront des excédents budgétaires meilleurs que prévu grâce à la reprise du cours des hydrocarbures, prédit la banque d'investissement EFG-Hermes. Dans un contexte de taux d'intérêt bas, ces organismes se doivent d'investir ces nouveaux avoirs. L'heure est au recentrage sur l'industrie traditionnelle. D'autant que la chute des marchés depuis l'été 2008 a fait fondre la valeur de nombreux géants européens offrant des possibilités de prises de participation à bon compte. Leurs gérants s'intéressent aux secteurs ayant résisté à la récession, comme la pharmacie, les télécommunications ou l'agroalimentaire. Par ailleurs, sur le plan géographique, les fonds arabes s'intéressent également à l'Afrique (ports, agriculture, minerais, téléphone mobile) comme protection de leurs placements dans les pays occidentaux. Pour ces fonds souverains, il s'agit aussi de préparer l'avenir, l'ère de l'après-pétrole. "Leur choix se porte sur des entreprises aux technologies innovantes, dans l'énergie par exemple, ou encore l'automobile", explique Christopher Schalast, professeur à la Frankfurt School of Finance. Leur rôle ne devrait plus se cantonner à apporter des capitaux. Ils veulent associer leurs participations à des projets industriels. Ainsi Abou Dhabi et Daimler ont annoncé vouloir travailler ensemble au développement de voitures électriques. Par ailleurs, les fonds ont tiré les leçons de la déroute boursière en créant leurs propres équipes, au lieu de confier la totalité des mandats aux banques d'affaires occidentales comme c'était le cas dans le passé. Les investissements classiques sont souvent faits en interne, tandis que les placements plus sophistiqués (capital-investissements, hedge funds, négoce) sont sous-traités à des experts extérieurs. En août 2008, en Allemagne, une nouvelle législation autorisait le ministère de l'économie à contrôler tout projet d'acquisition de plus de 25 % d'une entreprise allemande dite stratégique par un investisseur non originaire de l'Union européenne. Il se réservait ainsi le droit d'y mettre son veto en cas de menace "à l'ordre public et à la sécurité". Ces investisseurs du Golfe lestés de liquidités sont considérés aujourd'hui avec beaucoup moins de suspicion dans les pays récipiendaires en proie à la récession. Reste que leur réputation continue de souffrir de l'opacité des décisions et surtout de l'énorme influence des familles régnantes. Ainsi, le président du Qatar Investment Fund, cheikh Hamad al-Thani, est premier ministre et ministre des affaires étrangères de l'émirat et l'un des hommes d'affaires les plus prospères de la région.