Longtemps gardé secret, le rapport de la CIA sur ses propres techniques d'interrogatoire, à l'époque de George W. Bush, a été rendu public lundi dernier. Les méthodes d'interrogatoire de la CIA ont, en effet, régulièrement été mises en cause depuis l'arrivée au pouvoir de Barack Obama. Ainsi, après les révélations que des techniques de "simulation de noyade" ont été utilisées, notamment contre 33 prisonniers en tout, après les attentats du 11 septembre 2001, le nouveau rapport déclare cette fois-ci que des agents de la CIA ont employé des pistolets et des perceuses électriques pour tenter de faire parler un membre du réseau Al-Qaïda qu'ils avaient capturé. Le président américain avait, pour rappel et conformément à ses engagements de campagne, à la mi-avril, divulgué quatre mémorandums secrets de la CIA, révélant les tortures pratiquées lors d'interrogatoires de suspects d'activités terroristes. Obama ambitionnait, en fait, de "clore un chapitre douloureux" de l'histoire récente américaine. "Le moment, disait-il, est à la réflexion, pas au châtiment. On ne gagnera rien à perdre notre temps et notre énergie à fouiller les responsabilités du passé." L'enjeu était de se projeter "vers l'avenir", disait-t-il. Lundi dernier. Obama a, en effet, dû se résoudre à rouvrir le pire des dossiers du passé : les tortures perpétrées par des membres de la CIA ou "ses contractants", telle la société de sécurité privée Blackwater, dont des membres sont soupçonnés d'avoir participé à des interrogatoires. Il a dû, aussi, accepter la décision de son ministre de la Justice, Eric Holder, qui envisage de faire juger les responsables et les auteurs de ces agissements pour qu'ils soient "châtiés". Sur plainte de l'American Civil Liberties Union (ACLU, Union américaine pour les libertés civiques), le ministère a fini par dévoiler un rapport datant de 2004 de l'inspecteur général de la CIA, John Helgerson, d'une gravité telle que les agissements des personnels cités sont passibles de poursuites. Ce rapport considérait déjà certaines pratiques de la CIA durant les interrogatoires comme "non autorisées, sommaires et inhumaines". Elles contrevenaient même aux célèbres "avis juridiques" de la Maison-Blanche, qui jugeaient que la simulation de noyade et d'autres pratiques ne constituaient pas une torture. Ce document, dont certains passages restent classifiés, constitue le recueil d'informations le plus vaste dévoilé à ce jour sur ce thème. Les tortures se sont déroulées, principalement, dans des geôles secrètes en Irak ou en Afghanistan. Les responsables américains impliqués dans le programme de la CIA ont, nul ne doute, commis des "crimes sérieux", en violation de la convention de Genève et de la législation américaine. Au point que de nombreux agents de la CIA commenceraient à s'inquiéter et chercheraient à couvrir leurs arrières sur le plan judiciaire. Le procureur Durham pour mener l'enquête La justice sous George Bush avait, elle, à la vue du même rapport, décidé de ne poursuivre personne. Le ministre actuel a confié ce rapport à une commission d'éthique interne. Son verdict : ouvrir des enquêtes sur certains des cas d'abus les plus flagrants. Les services de Holder considèrent que dix à douze cas sont susceptibles de donner lieu à des poursuites devant un tribunal. Puis, il a chargé le procureur, John Durham, d'ouvrir cette enquête. Durham travaille déjà sur la destruction par la CIA de cassettes d'enregistrements de personnes torturées (parmi lesquelles, entre autres, celle de l'interrogatoire d'Abdel Rahim Al-Nachiri). Par ailleurs, la Maison-Blanche a annoncé la mise en place d'une unité spéciale chargée des interrogatoires des terroristes les plus importants. Le High Value Detainee Interrogation Group (HIG, groupe d'interrogatoire des détenus de haute importance) sera formé d'agents spéciaux et "d'interrogateurs spécialisés, d'experts et de linguistes". Il sera rattaché au Conseil de sécurité nationale. S'il y a, cependant, une constante dans le scandale des prisons secrètes de la CIA, c'est la crédibilité de tout un pays, la première puissance mondiale, donneur de leçon, éclaboussée par des scandales successifs dans le cadre de la guerre contre le terrorisme. Depuis plus d'un siècle, les Etats-Unis se sont arrogé le monopole de la vertu politique internationale, s'octroyant ainsi le privilège de mener leurs guerres impériales sous le couvert de la morale, appelant à respecter les droits de l'homme et à traduire en justice les pays qu'ils estiment en être violateurs.