La victoire du Parti démocrate du Japon traduit la volonté de changement d'une société qui ne parvient pas à faire face à la fin de la croissance... Le yen s'appréciait rapidement, hier, face au dollar et à l'euro, atteignant son plus haut face à la devise américaine depuis 7 semaines, après le triomphe de l'opposition aux législatives au Japon, qui met fin à deux ans de blocage institutionnel dans la deuxième économie mondiale. A 06H00 GMT, le billet vert valait 92,74 yens, contre 93,59 yens vendredi soir, et l'euro 132,35 yens contre 133,92. Le Parti Démocrate du Japon (PDJ), la principale force de l'opposition centriste, a raflé dimanche 30 août la majorité absolue à la Chambre des députés, mettant fin à 54 ans d'hégémonie des conservateurs sur la vie politique nippone. Selon les projections des médias, le PDJ a obtenu 308 sièges sur 480, contre 119 seulement pour le Parti libéral-démocrate (PLD), la formation de droite du Premier ministre sortant Taro Aso. Majoritaire aux deux chambres du Parlement, le PDJ va avoir carte blanche pour appliquer son vaste programme social (allocations familiales, aides aux plus démunis, baisse des impôts pour les petites entreprises, etc.) destiné à relancer la consommation et à enrayer le déclin démographique. En mettant fin au monopole de pouvoir d'un demi-siècle du parti libéral démocrate (PLD) pour donner une majorité de gouvernement à la principale formation d'opposition, le parti démocrate du Japon (PDL), les électeurs japonais ont ouvert une nouvelle page de la vie politique nationale. Mais aussi peut-être de leur histoire en exprimant la volonté de mettre fin au modèle socio-économique de "Japan Inc." - primauté à la croissance tirée par les investissements et les exportations - pour en privilégier une autre, fondée sur la demande intérieure et la protection sociale que prônent les démocrates. Au système du parti dominant succède l'ère de l'alternance au pouvoir de deux grandes formations concurrentes. Mais il est simplificateur de voir dans la lutte entre le PLD et le PDJ un clivage gauche-droite: les deux partis puisent dans les mêmes couches électorales et l'un comme l'autre réunissent des sensibilités allant du centre-gauche à la droite. Quinze années de retard Les démocrates désormais au pouvoir sont pour une bonne partie des transfuges du PLD. Mais ils comptent aussi dans leurs rangs d'anciens sociaux-démocrates et d'ex-syndicalistes ainsi que des militants venus des organisations non gouvernementales. Par son programme social, le PDJ se positionne au centre-gauche. Et il sera d'autant plus enclin à rester sur ces positions qu'il a besoin de l'alliance avec le petit parti social démocrate (nouvelle appellation du défunt parti socialiste) pour disposer d'une majorité de gouvernement au Sénat (où il est depuis 2007 le premier parti mais non majoritaire). En revanche, il est beaucoup plus ambigu en matière de politique étrangère même s'il souhaite une relation plus égalitaire avec les Etats-Unis. Le changement de majorité reflète avec retard les changements intervenus dans la société japonaise depuis une quinzaine d'années. Le temps n'est plus où l'archipel passait pour le pays du consensus avec une population qui dans sa grande majorité considérait appartenir à une classe moyenne. La stabilité politique des années 1960-1980 a souvent été perçue à l'étranger comme l'expression d'une frilosité de l'électorat. Celui-ci était simplement pragmatique. Dividendes de la croissance Pendant des décennies, les Japonais ont voté pour le PLD parce que celui-ci incarnait le réalisme et que, chacun à son niveau, avait l'impression de recueillir des dividendes de la croissance. C'est le PLD, né en 1955 de la fusion des deux grandes formations conservatrices (libérale et démocrate) pour faire front à une gauche socialiste puissante et combattive qui a fait du Japon au début des années 1970 la troisième puissance économique du monde (après les Etats-Unis et l'URSS) devenue par la suite la seconde. Par une habile politique de compensation sociale au fil d'arbitrages entre ses différents courants, le PLD a su répondre aux attentes de la population. En perdurant, le système a conduit à des dérives: clientélisme, corruption, prébendes et gaspillage des fonds publics. Le PLD était une efficace machine de gouvernement en période expansion. Depuis l'éclatement de la "Bulle financière" au début des années 1990, qui a fait sombrer l'archipel dans la récession et ouvert la "décennie perdue", il a commencé à "perdre la main" et laisser les disparités sociales se creuser. A la stagnation économique s'ajoutait un vieillissement rapide de la population. La parenthèse des cabinets du charismatique premier ministre Junichiro Koizumi (2001-2006) a différé le déclin du PLD. Mais son thatchérisme a aggravé les inégalités par une dérégulation du marché du travail qui s'est traduit par une augmentation des emplois précaires sans mise en place d'un filet social. La crise financière de l'automne 2008 a encore accentué le malaise: mises à pied, appauvrissement relatif, quasi banqueroute du système des retraites... l'ardoise est lourde. Mettre fin à la collusion entre lobbies et administration Comment les démocrates entendent-ils financer un programme axé sur la stimulation de la demande interne et une amélioration de la protection sociale? Par une chasse au gaspillage (grands travaux à l'utilité discutable, pantouflage) et des réformes fiscales, excluant cependant une impopulaire augmentation de la TVA (actuellement 5%). Qualifiés d'"irresponsables" par leurs adversaires, les démocrates en rajoutent en proposant de limiter l'emploi précaire dans l'industrie et d'augmenter le salaire horaire minium, soulevant de véhémentes protestations des milieux d'affaires qui les accusent de condamner la compétitivité internationale du Japon. La politique "au service des besoins de la population" prônée par les démocrates suppose une réappropriation par les politiques du processus décisionnel en matière budgétaire qui sera la première tâche de la nouvelle majorité. En raison du monopole du pouvoir exercé par le PLD, la collusion entre l'administration et des lobbies défendant des intérêts sectoriels a largement soustrait l'affectation des fonds publics au contrôle des élus. Les démocrates ne pourront pas tenir toutes leurs promesses. Les électeurs le savent. Mais ils ont voté pour un parti sans expérience de gouvernement parce qu'il a pris en compte leurs inquiétudes. Leurs suffrages constituent moins un vote de confiance qu'un appel au changement.