La Commission européenne s'apprête à condamner les plus grands noms du transport aérien, en raison d'une entente illégale dans le secteur du fret. Air France-KLM, British Airways, SAS, Cathay Pacific, Japan Airlines ou Singapore Airlines risquent des amendes de plusieurs centaines de millions d'euros. Bruxelles leur reproche de s'être entendues, au début des années 2000, sur les tarifs de fret en provenance ou à destination de l'Union. Aucune date n'est encore fixée, mais les gardiens de la concurrence espèrent boucler le dossier avant la fin du mandat de la Commission, le 31 octobre. D'ici là, les derniers arbitrages suscitent d'ores et déjà un intense lobbying des entreprises, voire des pays tiers concernés. Plusieurs cabinets de commissaire, dont celui de l'Italien Antonio Tajani, commissaire aux transports, ont mis en cause les modalités d'une décision susceptible de fragiliser encore un secteur secoué par la récession. A Bruxelles, la direction générale de la concurrence n'a pourtant aucun doute sur la culpabilité des opérateurs de fret, dont elle traque les pratiques illégales depuis 2006. Plusieurs raids ont été menés dans divers pays, en concertation étroite avec les autorités américaines et sud-coréennes, après que l'un des initiateurs de l'entente, Lufthansa, a dénoncé les conventions secrètes portant, entre autres, sur la facturation des hausses de carburant. En récompense, la compagnie allemande devrait bénéficier d'une mesure de clémence. Ses anciens partenaires du cartel risquent gros. La Commission peut en principe infliger des amendes équivalentes à 10 % maximum du chiffre d'affaires annuel des sociétés poursuivies. Consciente de l'enjeu, Air France-KLM a provisionné, en 2008, 530 millions d'euros pour faire face aux sanctions en Europe, mais aussi aux Etats-Unis. En juillet 2008, la compagnie franco-néerlandaise a, comme ses concurrentes, plaidé coupable aux Etats-Unis pour négocier un arrangement avec le ministère de la justice. Cette solution à l'amiable lui a coûté 350 millions de dollars (220 millions d'euros à l'époque). British Airways et Korean Airlines avaient dû débourser 300 millions de dollars chacune pour mettre un terme aux poursuites engagées par les autorités américaines. En tout, les amendes infligées aux différents contrevenants représentent déjà plus de 1,6 milliard de dollars. En Europe, les enquêtes engagées sont plus longues, les entreprises mises en cause n'ayant pas la possibilité d'y mettre un terme en négociant un arrangement. Une situation qui n'empêche pas les compagnies aériennes de faire discrètement le siège de la Commission pour la dissuader de fixer de trop lourdes amendes. Les difficultés du fret aérien dans la foulée de la crise financière offrent un autre argument de poids aux transporteurs. Tous ont réduit leurs capacités de fret et s'attendent à de lourdes pertes en 2009. Les compagnies européennes ont supprimé 24 000 emplois au premier semestre (6 % des effectifs), indiquait récemment leur association à Bruxelles. "L'un des paradoxes dans cette affaire, c'est qu'au nom de la concurrence, on risque d'étouffer les sociétés les plus mal en point, et de conforter les plus puissantes", observe un avocat bruxellois. D'après des experts du secteur, la compagnie scandinave SAS, qui est en train de se séparer de 3 000 salariés, pourrait être particulièrement fragilisée. Cette fois, les compagnies ne peuvent pas compter sur le pragmatisme dont se targue Neelie Kroes. La commissaire européenne à la concurrence a été déchargée de ce dossier au profit de son collègue chargé du marché intérieur, Charlie McCreevy : à l'époque des faits litigieux, elle avait en effet travaillé pour le compte d'une filiale de KLM avant sa fusion avec Air France. La crise économique incitera-t-elle les services de la concurrence à faire preuve de retenue ? "L'important, c'est la dissuasion, juge un haut fonctionnaire bruxellois. Il est évident que son niveau n'est pas le même en période de crise et en temps de vaches grasses." M.K