Envoyé une première fois, en 1959, aux éditions du Seuil, la maison qui a publié la totalité de ses ouvrages, la Cité des Roses, le roman de Mouloud Feraoun sera refusé. Le manuscrit jugé virulent par l'éditeur ne correspondait pas aux attentes du lectorat français. Une censure qui poussera Feraoun à ne pas changer comme il lui a été suggéré par son éditeur, une virgule de son texte original qu'il placera dans le tiroir de son bureau. Ironie du sort, ce roman d'une intensité hors du commun sort 49 ans après, l'âge qu'avait l'auteur du succulent, Fils du pauvre quand il fut assassiné en 15 mars 1962 par l'OAS. La sortie de cet ouvrage chez la toute nouvelle maison d'édition, Yamcom, intervient avec le 45e anniversaire du décès de Mouloud Feraoun. Dès l'abord, dans la Cité des Roses, l'on retrouve quelques ingrédients autobiographiques liés au déplacement de la famille Feraoun de Tizi Hibel, son village natal vers la capitale pour endosser le costume de directeur d'école. Le roman traite aussi bien de la torture, des arrestations arbitraires, des événements du 13 mai 1958, que de l'amour interdit. A travers ce récit de 170 pages, l'auteur revient dès l'incipit sur l'un des moments forts de sa vie : le déchirant déplacement de sa famille de sa terre natale vers Alger. Ce “ déracinement ” allait être fait d'abord pour échapper à la mort, ensuite, pour des raisons professionnels. Dans ce nouvel univers, le personnage principale vivra une histoire bouleversante : celle d'un amour impossible avec une Française, Françoise. Tout deux sont mariés, et l'un comme l'autre ont des idées toutes faites par rapport au colonialisme. Ce récit d'une précision étonnante, se situe dans le contexte historique des années 60, soit peu avant l'indépendance. Le texte narratif se déroule, exactement, en 1958, à la Cité des Roses. C'est là qu'un Algérien, directeur d'école, s'éprend de Françoise, une institutrice, tous les deux mariés. L'amour étouffé et brûlant qui les unit trouvera les chemins de son effraction dans le besoin de liberté qu'ils éprouvent, profondément. Mouloud Feraoun raconte son Algérie, celle qui s'affranchit de la France avant de rompre définitivement avec elle. Il dresse un tableau sans concession de la passion enivrante qui lia les deux pays et dont les spectres nous heurtent encore aujourd'hui. Ce sentiment complexe, où s'entrechoquent les amours-propres, les préjugés, les traîtrises et les ignorances, conduit, invariablement, l'humanité à regarder ses propres turpitudes. Au sujet de ce nouveau roman, Mouloud Feraoun a dit : “Je continue par exemple de penser que si la politique peut donner une certaine teinte à l'amour, elle ne peut ni le nourrir, ni le modifier, ni l'empêcher. C'est la politique, la morale, l'honnêteté, etc., qui recherchent toujours des accommodements avec l'amour. Sauf, bien entendu, quand on a affaire à des héros ou à un faux amour. J'ai cru qu'il était indiqué de faire s'épanouir un tel sentiment au milieu de la haine et qu'il suffirait de rappeler en contre point que cette haine existait, se traduisait par la colère, l'hypocrisie, la souffrance et la mort. Mais de cette situation historique sur laquelle je n'avais pas besoin d'insister, j'ai voulu que les personnages s'évadent en se donnant l'un à l'autre ”. Concernant le refus de l'éditeur de publier son premier texte tel quel, Feraoun répondait qu'il ne s'agissait pas d'un travail hâtif ou d'une ébauche et que tout ce qu'on n'y trouvait pas, il ne l'avait pas omis à dessein. Il terminait sa lettre en disant qu'il considérait cette version comme définitive et qu'il avait envie de commencer autre chose. Il n'écrivit l'épilogue qu'un an plus tard. En 1962, Ferraoun entreprend l'écriture d'un autre roman où les personnages centraux sont aussi un Algérien et une Française. Il ne le situe plus en 1958 mais en 1962 et l'héroïne n'est plus Françoise (La France) mais Claire comme la situation qui le devient … Ce sont les premiers chapitres de ce roman que les éditions du Seuil feront paraître dans un livre intitulé L'anniversaire et qui réunit des études, des souvenirs, des publications ainsi que la suite du Fils du pauvre qu'elles avaient jugé bon de retirer de la version originale, en 1954, lorsqu'elles en acquirent les droits. Pour éviter toute confusion avec le précédent livre, celui-ci prend aujourd'hui le titre de sa première partie La Cité des Roses.