Le nouvel affaiblissement du dollar crée un dilemme pour les autorités américaines, qui cherchent à soutenir les exportations d'une économie encore fragile sans pour autant rogner la confiance dans le billet vert. La devise américaine a flirté la semaine dernière avec le seuil symbolique de 1,50 euro pour un dollar, minée par les craintes sur les déficits américains et par la faiblesse des taux d'intérêt, qui rendent la monnaie peu rémunératrice. Elle a aussi pâti de son statut de valeur refuge alors que se manifestent les premiers signes de reprise. Sa baisse a ravivé les spéculations sur l'abandon du dollar en tant que référence pour les prix du pétrole et menace son statut de monnaie de réserve. Selon Donald Rataczak, économiste pour Morgan Keegan, la banque centrale américaine (Fed) pourrait devoir répondre aux pressions en faveur d'un relèvement des taux, actuellement quasi nuls, pour aider à corriger les déséquilibres mondiaux entre monnaies. Certains analystes estiment que les autorités américaines, malgré des déclarations réitérées en faveur d'un "dollar fort", se satisfont de voir la devise s'affaiblir, parce que cela soutient les exportations américaines. D'autant que les craintes de voir les prix augmenter ne sont pas fortes, le risque d'inflation étant moindre que celui de la déflation, selon eux. Toutefois, cette stratégie pourrait se retourner contre les Etats-Unis si le dollar devait perdre la confiance des investisseurs, ce qui serait un nouveau coup porté au système financier mondial. Trois banques centrales asiatiques ont même commencé à intervenir pour soutenir le dollar, a noté Joseph Brusuelas, du site d'analyse de Moody's Economy.com. Le secrétaire au Trésor américain, Tim Geithner, a soigneusement évité de répondre à une journaliste de la chaîne CNBC qui lui demandait jeudi ce que son gouvernement faisait pour empêcher la baisse du billet vert sur le marché des changes. Il s'est contenté de rappeler que le dollar s'était révélé être la monnaie refuge par excellence au plus fort de la crise. "C'est quelque chose de très important" et nous "devons faire en sorte" que cela dure, a-t-il ajouté. De récents commentaires du président de la Fed ont tout de même un peu calmé les spéculations et redonné quelques forces au dollar : Ben Bernanke a en effet laissé entendre qu'il allait resserrer la politique monétaire dès que l'économie repartirait. "Tant qu'il n'y a pas d'effondrement soudain mais que cela reste un affaiblissement graduel, la Fed va vraisemblablement prendre son temps et profiter des conséquences positives d'un dollar faible", estime toutefois Kathy Lien, de Global Forex Trading. La politique de taux zéro de la Fed maintenue depuis décembre a fait naître des inquiétudes sur l'utilisation du dollar comme monnaie de "carry-trade", une technique spéculative qui consiste à emprunter du dollar et à investir dans des obligations souveraines d'autres pays rémunérées à 3% ou plus. La situation a donné lieu à "des pressions considérables de la part du Japon, de la France, de l'Allemagne et de l'Italie, qui s'inquiètent de l'affaiblissement rapide du dollar parce qu'ils dépendent beaucoup des exportations", relève Simon Johnson, ancien économiste en chef du Fonds monétaire international, enseignant désormais à l'université du MIT. Mais pour M. Johnson, le dollar faible "est un coup de chance incroyable pour l'administration Obama", qui pourrait aider à la reprise. "Si le dollar reste faible ou baisse encore, nos constructeurs de voitures, de machines, de turbines vont bientôt réembaucher et on va enfin avoir une croissance de l'emploi dans le balbutiement de la reprise", explique-t-il.