Alberto Gonzales risque sa tête. Le ministre américain de la Justice a renvoyé huit procureurs fédéraux. Pour des raisons de compétences, dit-il. Pour des raisons politiques rétorquent les démocrates. Dans ce nouveau bras de fer avec l'opposition, l'administration de George W. Bush semble mise à mal. Car les dernières révélations impliquent dans ce scandale de très hauts responsables de la Maison-Blanche. L'affaire couve depuis plusieurs semaines : à la fin de l'année dernière, huit procureurs fédéraux se voient limogés de leurs postes, avec des explications plus que maigres de la part du ministère de la Justice. Mécontents de leur sort, ces procureurs se tournent, l'un après l'autre, vers le Congrès à Washington. La Chambre des représentants - dominée par les démocrates depuis les dernières élections - se penche alors sur l'affaire et découvre, que plusieurs des procureurs renvoyés enquêtaient sur des affaires politiquement sensibles. C'est notamment le cas de Carol Lam, le procureur engagé de San Diego. Quand Mme Lam est obligée de déménager de son bureau, elle est justement en train de suivre une affaire de corruption. A Washington, toutes ces révélations font du bruit depuis déjà quelques semaines, et pas seulement dans les couloirs du Capitole. Mais c'est seulement la semaine dernière que le véritable scandale éclate : avec les audiences des procureurs démis de leurs fonctions, arrivent les difficultés pour le ministre de la Justice, Alberto Gonzales, difficultés qui vont bientôt entraîner dans une avalanche de révélations de hauts responsables de la Maison-Blanche et même le président des Etats-Unis en personne. Pendant ces auditions, certains des anciens procureurs fédéraux déclarent avoir subi des pressions de la part d'élus républicains, harcelant leurs victimes à coups de communications téléphoniques. Cette annonce déclenche alors un tollé d'indignation au sein du parti démocrate qui demande immédiatement des explications de la part du ministre de la Justice. Alberto Gonzales reconnaît avoir commis des erreurs dans la gestion des renvois mais assure qu'aucun limogeage des huit procureurs n'a été effectué pour des raisons politiques. Le gardien de l'indépendance de la justice américaine profite en revanche habilement de l'occasion pour rappeler à ses compatriotes que les postes des procureurs fédéraux dépendent " du bon plaisir du président ". En effet le sort de chacun des 93 procureurs fédéraux est intimement lié à la présidence des Etats-Unis, le chef d'Etat ayant le droit constitutionnel de les nommer ou de les limoger. Le remplacement d'un ou de plusieurs procureurs par le président constitue un procédé tout à fait courant au sein du système américain. Bill Clinton par exemple, avait balayé d'un seul coup l'ensemble des 93 procureurs au moment de son arrivée à la Maison-Blanche. Ce n'est donc pas le fond qui est en cause dans l'affaire actuelle, mais plutôt les circonstances dans lesquelles les huit renvois ont été effectués. Entre temps, l'enquête, déclenchée par le Congrès, a donné des résultats stupéfiants sous forme d'une multitude de documents, notamment des courriels, qui ont été échangés sur le sujet entre les différents membres à plusieurs niveaux de l'administration Bush. Selon ces documents, il y aurait eu, en 2005, la volonté, de remplacer les 93 procureurs. Cette initiative, portée par l'ancienne responsable des services juridiques de la Maison-Blanche et fidèle de longue date de M. Bush, Harriet Miers, a finalement été abandonné pour une procédure plus en finesse. Karl Rove, conseiller politique du président, aurait alors préféré garder les procureurs considérés comme politiquement loyaux - les " loyal Bushies " comme les appelle le renommé quotidien Washington Post - et limoger, en revanche, ceux qui se montreraient trop embarrassants pour la Maison-Blanche. Face à ces révélations de la puissance d'une véritable bombe, Alberto Gonzales a beau déclarer : " Nous n'avons fait que notre travail en évaluant qui avait de bons résultats, où nous pouvions faire mieux, où il y avait du mécontentement ". Le ministre de la Justice n'arrêtera pas la tempête politique qui s'est abattue désormais sur Washington. Entre temps, le président des Etats-Unis a été obligé de prendre position. Du bout des lèvres, il a soutenu son protégé, " Al ". Bush avait jadis qualifié de " rêve américain en personne ", ce premier Hispanique à occuper un ministère d'une telle importance. " J'ai confiance dans le ministre de la Justice Al Gonzales ", a déclaré George W. Bush tout en ajoutant qu'il n'avait pas été " très heureux de la manière dont cela s'est passé ". Vu la tournure que prend le scandale, le président américain s'est senti obligé de faire d'autre confirmations inconfortables : George Bush a ainsi déclaré n'avoir " jamais soulevé aucun cas particulier " et n'avoir jamais donné " d'instructions particulières " à son ministre de la Justice sur le nom des procureurs fédéraux à renvoyer. Les démocrates, devenus majoritaires au Congrès depuis les dernières élections, comptent bien profiter du fait qu'ils ont le vent en poupe. Pour mettre les républicains à genoux, ils se servent des commissions parlementaires, qui ont entraîné une série d'auditions sur des sujets tous plus embarrassants les uns que les autres pour l'équipe à la Maison Blanche. Dans l'affaire du renvoi des procureurs fédéraux, les démocrates ont exigé la démission d'Alberto Gonzales mais ne veulent pas en rester là : la présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a promis que l'enquête de la Commission des affaires judiciaires, sur cette affaire, sera " vigoureuse ". George W. Bush s'était très certainement fait une autre idée de la fin de son deuxième mandat. Après les critiques virulentes à son égard concernant le scandale des hôpitaux militaires délabrés, il n'avait pas besoin de cette nouvelle affaire. Pour l'instant, la seule tête tombée est celle du chef de cabinet du ministre de la Justice, Kyle Sampson. Mais nul ne sait si son sacrifice suffira à calmer un Congrès, des médias et surtout une opinion publique, tous révoltés par ce scandale.