Beaucoup a été dit sur le Patriot Act, cette loi adoptée dans la foulée des attentats antiaméricains du 11 septembre 2001, y compris les dérives qu'elle autorise comme les restrictions des libertés, voire leur violation puisque les forces de l'ordre en ont la possibilité. C'est justement ce qui suscite la plus forte opposition jusque dans les travées du Congrès américain, effaçant au passage les divergences idéologiques qui pourraient caractériser les rapports entre les deux grandes formations politiques américaines, les démocrates et les républicains, ces derniers détenant l'essentiel du pouvoir avec un président de l'Exécutif, et une majorité parlementaire. Mais ce qui se discute actuellement renvoie, selon l'avis de spécialistes, à des valeurs comme les libertés individuelles et collectives, que l'on dit menacées par les dispositions du Patriot Act. Un bras de fer a été engagé au Congrès américain sur la latitude offerte aux forces de l'ordre dans la lutte contre le terrorisme, après l'échec d'un vote visant à hâter la reconduction de la loi Patriot Act, dont plusieurs dispositions risquent d'expirer au 31 décembre. En dépit des appels répétés du président George W. Bush qui, jeudi encore, avait appelé à reconduire ce texte promulgué dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, l'état-major républicain n'a pas réussi à rassembler les 60 voix nécessaires pour abréger le débat. Seuls 52 sénateurs (contre 47) se sont prononcés en faveur du texte, en raison notamment de la défection de quatre élus républicains, attachés à la défense des libertés individuelles. L'opposition à ce texte a été attisée par la révélation, dans le New York Times, que le président Bush avait autorisé en 2002 l'écoute des conversations téléphoniques de milliers d'Américains sans mandat de la justice. L'impact de ces révélations a été « très problématique, sinon dévastateur », a regretté le président républicain de la commission des Affaires judiciaires, Arlen Specter. En soirée, M. Bush a insisté pour que le texte finisse par être adopté, quitte à mettre l'opposition devant ses responsabilités si 2006 débutait avec des forces de l'ordre privées de moyens d'enquête dont elles jouissent depuis quatre ans. Les élus qui ont bloqué le texte « doivent comprendre que le Patriot Act expire dans 15 jours, mais la menace terroriste contre l'Amérique ne va pas expirer à cette même échéance », a-t-il dit, soulignant que « le Congrès a la responsabilité de ne pas retirer cet outil essentiel aux forces de l'ordre et au renseignement pour protéger le peuple américain ». « Avec un peu de chance, nous aurons l'occasion, dans les 24 ou 48 ou 72 heures qui viennent », de voter une nouvelle fois sur le texte, a déclaré le chef de la majorité, Bill Frist. Le débat s'est poursuivi dans l'indifférence générale, sans que quiconque se risque à en indiquer le terme, alors que le Congrès tente désespérément de boucler ses travaux de l'année avant les congés de fin d'année. La quasi-totalité de l'opposition démocrate et une poignée de républicains estiment que la version actuelle du projet de loi prorogeant le Patriot Act donne trop de latitude aux forces de l'ordre pour mener des perquisitions ou des écoutes. Le texte vise à pérenniser 14 des 16 mesures du Patriot Act venant à expiration au 31 décembre. Les deux autres seraient prolongées pour quatre ans seulement. Pour éviter que toutes ces mesures deviennent caduques, plusieurs élus ont avancé une proposition de compromis : la reconduction des textes en vigueur pour trois mois, le temps de retravailler la mise à jour des mesures venant à expiration. « Personne ne croit sérieusement qu'il faut laisser expirer les mesures du Patriot Act », a souligné le chef de l'opposition, Harry Reid, renvoyant la balle dans le camp du gouvernement : « Ce serait irresponsable de la part de l'administration et une renonciation à tous ses devoirs, que de permettre l'expiration de ces mesures. » Mais cette option est refusée par l'Administration et la majorité. « Je crois que les gens ont eu assez l'occasion d'examiner le texte, de s'informer, et il est temps d'agir maintenant », avait dit jeudi l'Attorney General Alberto Gonzales, dont les fonctions recouvrent les attributions des ministres de la Justice et de l'Intérieur. L'opposition à ce texte a créé une alliance contre nature entre la grande organisation de défense des libertés individuelles ACLU et l'une des principales organisations de la droite religieuse, la Coalition de défense chrétienne. Son directeur, Patrick Mahoney, a indiqué qu'il s'inquiétait d'entraves à la liberté d'expression. Il reste que la convergence porte sur des valeurs communes, comme les libertés, et selon certaines révélations rapportées par la presse, la marge de manœuvre est à ce point large qu'elle pourrait autoriser dépassements et restrictions. Tout cela au nom de la loi.