Abderrahmane MEBTOUL (économiste Algérie) et Gilles BONAFI (économiste France) Dans cette contribution collective, nous posons la problématique sur un sujet d'une brûlante actualité qui intéresse à plus d'un titre l'économie algérienne totalement extravertie: " quelles sont les perspectives de l'économie mondiale face à l'endettement croissant des Etats? ". Car si l'endettement tant interne qu'externe algérien a été épongé grâce aux recettes des hydrocarbures, et non par une meilleure gouvernance et le travail, pour la majorité des pays de la planète, cela devra être supporté par les générations futures avec le risque à moyen terme, en cas d'une non-reprise de la sphère réelle, d'une hyperinflation au niveau mondial. 1- Y A-T-IL UNE REPRISE RELLE DE L' ECONOMIE MONDIALE ? Les réunions du G20 tant à Londres qu'à Pittsburgh ne se sont pas attaquées aux fondamentaux de la crise car, au lendemain de l'éclatement de la crise des prêts hypothécaires en août 2007 avec le point culminant au mois d'octobre 2008 comment ne pas se remémorer la crise d'octobre 1929 qui avait atteint son point culminant en 1935/1936 c'est-à-dire 5/6 années après En effet, des politiques désordonnées protectionnistes (conséquences des interconnexions entre crise économique, crise sociale et crise politique avec l'avènement de régimes fascistes), ayant des similitudes aujourd'hui : dominance de la sphère financière sur la sphère réelle, distorsion entre les salaires en baisse en terme de parité de pouvoir d'achat de la majorité ( endettement) et les profits colossaux réservés à la spéculation financière, mais également des différences du fait de l'interdépendance accrue des économies et la naissance de pays émergents. Dans son rapport publié courant janvier 2010, la Banque mondiale (BM) note que le pire de la crise financière est derrière nous et la reprise économique mondiale est en cours, mais que cette reprise est fragile, l'ampleur globale de la reprise et sa durabilité dépendant du redressement de la consommation des ménages et donc des entreprises sur les prochains trimestres 2010/2011. Selon la BM, on ne peut pas exclure l'hypothèse d'une rechute en 2011 s'il advenait que la dépense publique se ralentisse et que la croissance ne soit pas reprise par les entreprises privées, à mesure de l'atténuation de l'impact des mesures de relance budgétaires et monétaires sur la croissance et de la fin du cycle des stocks actuels. Pour preuve de la faible reprise de l'économie réelle, le nombre de sans-emploi dans le monde a atteint près de 212 millions en 2009, en raison d'une hausse sans précédent de 34 millions par rapport à 2007, juste avant la venue du krach économique, a annoncé le Bureau international du Travail (BIT) dans son rapport annuel sur les tendances mondiales de l'emploi publié fin janvier 2010. De plus, la proportion de travailleurs en situation d'emploi vulnérable dans le monde est évaluée à plus de 1,5 milliard, soit plus de la moitié (50,6 %) de la main-d'œuvre mondiale. Et ce nombre est susceptible d'avoir augmenté de plus de 100 millions entre 2008 et 2009 car la situation n'est pas prête de s'améliorer en 2010/2011. Or qui dit chômage (seul indicateur de la reprise de la sphère réelle), dit baisse de la demande solvable qui se répercute sur le niveau de l'appareil de production. L'Espagne, le pays le plus frappé d'Europe avec près de 20% de taux de chômage est un exemple significatif. Tout en évitant ce pronostic irréaliste du moins à court et moyen terme, que la Chine suppléera au faible taux de croissance des pays de l'OCDE et comblera ce besoin immense de financement selon notre point de vue, du moins durant la période 2010/2015, peut être au delà de 2020. N'oublions pas que c'est grâce à un plan de relance de près de 586 milliards de dollars en 2009 que la Chine a pu maintenir son PIB au-dessus de la barrière fatidique des 7% (8,7% selon le National Bureau of Statistics). D'après la Commission nationale pour le développement et la réforme, au cours du 11ème plan quinquennal (2005-2010), la Chine aurait besoin de créer chaque année 20 millions de nouveaux emplois, ce qui impose une croissance minimale de 7% par an. On le voit ici sa marge de manœuvre est limitée.
II - UNE DETTE PUBLIQUE INQUIETANTE DES ETATS-NATIONS Les indicateurs économiques évoluent sans cesse, voici la réactualisation des chiffres clés de l'économie mondiale concernant la dette et les produits dérivés (les métastases). Tous ces chiffres proviennent de sources clairement identifiées comme le FMI ou pour l'essentiel, du Bureau des Règlements Internationaux (BRI), du très sérieux donc. Concernant la dette, voici les estimations réalisées par l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) courant janvier 2010 : Japon: 197,2% du PIB, Islande: 142,5%, Italie: 127,0%, Grèce: 123,3%, Belgique: 105,2%, France: 92,5%, Etats-Unis: 92,4%, Portugal: 90,9%, Hongrie: 89,9%, Canada: 85,7%, Royaume uni: 83,1%, Allemagne: 82,0%.Les 92% de dettes (en pourcentage du PIB) pour la France en 2010 sont confirmés par le FMI et 99 % sont prévus en 2011. Le Japon bat tous les records de dette. L'Irlande explosera sa dette en 2011 avec +12%. L'Espagne est en comparaison "peu endettée" avec 68% en 2010. Les 74% prévus en 2011 nous semblent sous évalués avec un dépassement que nous évaluons à plus de 80%. Quant aux produits dérivés, ils continuent leurs décrues (sauf aux USA). Ils avaient atteint la somme faramineuse de 690 000 milliards de dollars au début de l'année 2008 et ne représentent plus que 444 000 milliards de dollars (8 fois le PIB mondial) au quatrième trimestre 2009 d'après la dernier rapport trimestriel BRI de mars 2010. On le voit ici, il existe un découplage entre les activités sur les produits dérivés aux USA et dans le reste du monde. Pour rappel, le 30 juin 2008 , l'OCC (Comptroller of the Currency, l'autorité gouvernementale de tutelle des banques) déclarait que les USA possédaient 182 100 milliards de dollars de produits dérivés (des métastases), or, il y a quelques mois, le dernier rapport faisait état de 200 000 milliards de dollars (contrôlés par 5 banques). La finance US a donc créé 20 000 milliards de dollars de produits dérivés en 1 an, soit 1,5 fois le PIB des USA alors que le reste du monde a pris conscience du danger qu'ils représentent. Plus inquiétant encore, les USA détiennent désormais près de la moitié de ces produits financiers qui sont au coeur du risque systémique. L'on comprend mieux pourquoi Tim Geithner, le ministre américain des Finances (secrétaire au trésor), a vivement critiqué le plan que va présenter la Commission européenne de régulation des produits dérivés et notament des CDS afin de prévenir les effets " systémiques " de ces produits financiers dont la banque Goldman Sach (un cheval de Troie) s'est servie afin d'affaiblir l'Europe au profit des USA. Ce d'autant plus que le marché boursier a été déçu par le manque d'engagement concret de l'UE à aider l'Etat grec face à sa dette. L'euro a été principalement pénalisé par des craintes sur le plan d'aide de l'Union européenne à la Grèce qui pourrait ne pas être suffisant pour aider le pays à gérer son déficit budgétaire n'ayant pas annoncé d'aides financières concrètes, pessimisme accentué par le manque de vision sur la façon dont l'Eurogroupe va gérer la crise grecque et empêcher une contagion au Portugal, à l'Espagne et à l'Italie qui sont dans une situation instable. De grandes réformes des institutions européennes devront être prises avec la création d'un trésor commun à la zone euro (FME), ou bien une Agence européenne de la dette (AED) ce qu'a d'ailleurs proposé Yves Leterme premier ministre belge. L'AED serait une institution de l'UE chargée d'émettre et de gérer la dette gouvernementale de la zone euro, sous l'autorité des ministres des finances de l'Eurogroupe et de la Banque centrale européenne (BCE). Elle reprendrait les titres de la dette existants et pourrait en émettre de nouveaux dans le cadre des accords conclus au sein de l'Ecofin et de l'Eurogroupe. Angela Merkel s'est d'ailleurs montrée favorable à un " Fonds monétaire européen " FME qui remplacerait le " Fonds d'aide européen à la balance des paiements " qui ne peut pas aider des États membres de la zone euro. Selon Jean-Claude Juncker, président de l'Eurogroupe et également Premier ministre luxembourgeois, un Fonds monétaire européen (FME) finira bien par être mis sur pied un jour. Le Premier ministre français, François Fillon, a déclaré mercredi 10 mars 2010 à Berlin vouloir "expertiser rapidement" cette option. De toute façon l'Europe n'a plus le choix car elle risque l'éclatement.
III LE RISQUE D'UN RETOUR A L'INFLATION MONDIALE Face à cette situation, il s'ensuit que le risque est de s'orienter vers un retour à l'inflation à l'échelle planétaire, mais fait nouveau, conséquence à la fois de la combinaison cette fois de bulles financières et de bulles budgétaires (l'expérience récente de la Grèce en semi- faillite devrait être méditée). Ce risque est anticipé par une étude du Fonds monétaire international (FMI) publiée le 11 février 2010 " repenser la politique macroéconomique ". Olivier Blanchard, économiste en chef du FMI suggère ainsi dans son étude aux autorités monétaires d'envisager un relèvement de leur objectif d'inflation à 4% en 2011 au lieu de 2% afin d'accroître l'efficacité des politiques monétaires. Il est d'ailleurs attendu que la Fed relève dans un proche avenir son taux d'escompte mais d'une manière graduelle. En effet, selon le président de la FED, Ben Bernanke dans un discours publié le 12 février 2010 sur le site de la banque centrale américaine " sous peu, nous nous attendons à envisager une hausse modeste du spread entre le taux d'escompte et le taux des Fed funds. Cet écart, de 100 pb, a été ramené à 25 pb lors du déclenchement de la crise financière. Les Fed funds sont aujourd'hui à 0-0,25% et le "discount rate", taux auquel les banques commerciales peuvent se financer directement auprès de la Réserve fédérale, à 0,50%. Ce dernier devrait donc augmenter, mais sans grande conséquences. La Fed peut notamment augmenter le taux d'intérêt versé sur les réserves des banques, ce qui amènerait ces dernières à accroître d'autant les taux qu'elles demandent sur le marché monétaire ". C'est justement les craintes du processus inflationniste incontrôlé, (surchauffe) qui a fait réagir les autorités chinoises suite au programme de relance de 4 000 milliards de yuans (soit 12 % du PIB) mis en place par la Chine jusqu'en 2010 (au titre duquel environ la moitié des dépenses ont déjà été réalisées), ce qui fait craindre un ralentissement de l'économie mondiale et donc des exportations européennes. En effet, la Banque centrale de Chine a annoncé le 11 février 2010 un nouveau relèvement du taux de réserves obligatoires des banques, intervenant alors que les autorités souhaitent renforcer le contrôle du crédit." Un resserrement monétaire ferait du tort à la confiance en la reprise mondiale parce que la Chine en est le moteur principal " selon le cabinet Currencies Direct. Ce retour à l'inflation mondiale est certes atténué par l'ampleur du chômage ( faible demande) et pour l'avenir ne peut provenir que d'une distorsion des salaires entre les pays dits développés et les pays émergents dont la Chine, le Brésil et l'Inde. Cela suppose donc plus d'ouverture économique des pays développés et donc des respécialisations au niveau mondial rivant les pays émergents et certains pays du tiers monde dans la production de biens salaires à bas prix à destination des pays développés. Allons-nous dans cette tendance alors que les exigences supposent une élévation des niveaux et genre de vie de l'ensemble de la zone Sud ? Car, l'apparence d'un retour à un dollar fort ne doit pas faire illusion. La résistance relative du dollar face à l'euro (encore qu'il faille préciser que le dollar était coté en janvier 2000 à environ 0,90 dollar pour un euro soit un dérapage de plus de 40/45% par rapport à mars 2010) est liée à la liquidation par les investisseurs américains de leurs positions sur les marchés financiers internationaux et à la politique monétaire chinoise. Concernant justement les bons du trésor représentant environ 45 % de la dette totale externe des Etats-Unis, ils sont concentrés surtout au niveau de la banque centrale de Chine. Au mois de juin 2009, sur 2000 milliards de dollars de réserves de change chinois (dont une grande partie libellée en dollars) la Chine détient 712 milliards de dollars de bons du Trésor (selon les statistiques américaines). Malgré certaines déclarations contre l'hégémonie du dollar, la Chine continue à être un gros acheteur de bons du Trésor BUS. Ainsi, la crise a rendu de facto l'économie américaine encore plus dépendante de la Chine et la Chine plus dépendante des USA, car, toute contraction de la demande affecte les exportations chinoises. Mais est-ce que cette situation pourra continuer à l'avenir ? Tout dépendra de l'attitude de la Chine donc, premier créancier des Etats-Unis et tout le problème est le suivant : les chinois (et d'autres notamment l'Inde, la Russie, le Japon, les pays du Golfe à excédents financiers) continueront-ils à acheter des bons du Trésor des Etats Unis où s'orienteront-ils vers les émissions des droits de tirages spéciaux émis récemment par le FMI ? Les USA à travers le dollar bien qu'en diminution relative dans les transactions internationales, feront tout pour rester encore longtemps la première puissance et la locomotive de l'économie mondiale.
Abderrahmane MEBTOUL économiste Algérie) et Gilles BONAFI (économiste France) Sources: - OCC page 12 http://www.occ.gov/ftp/release/2009-114a.pdf -BRI rapport trimestriel page 11, http://www.bis.org/publ/qtrpdf/r_qt1003b_fr.pdf -Voir tableau statistique dernier rapport tableau OCDE janvier 2010 sur l'endettement public