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Comment l'UE protège son agriculture
Publié dans Le Maghreb le 04 - 04 - 2010

Agriculture européenne et OMC ne font généralement pas bon ménage. La Politique Agricole Commune (PAC) accordant par principe une préférence aux produits agricoles européens, c'est en particulier dans le cadre des négociations de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 2001 que les subventions à l'exportation ainsi que les aides aux agriculteurs de l'Union européenne ont fait l'objet de critiques virulentes de la part des pays tiers. Soumis à une certaine pression internationale dès le début du "cycle de Doha", les Etats membres se sont alors mis d'accord sur la nécessité de réduire ces aides, qui entravent la concurrence internationale et confèrent un avantage aux produits européens, au sein de l'Union comme à l'extérieur. À peine une décennie plus tard, l'UE a-t-elle respecté ses engagements ? Fondée en 1994, l'OMC est une organisation internationale dont les objectifs sont de supprimer progressivement l'ensemble des obstacles aux échanges internationaux, d'assurer le respect des règles commerciales internationales, de surveiller et de réprimer les pratiques déloyales.
Afin de libéraliser progressivement l'agriculture internationale, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) a prévu de regrouper les aides (subventions à l'exportation, aides directes aux producteurs en fonction des quantités produites, dites "couplées") dans des "boîtes", permettant de catégoriser les degrés de protection des productions agricoles, c'est-à-dire d'évaluer si les mesures mises en place protègent trop les agriculteurs ou si au contraire elles ne servent qu'à favoriser le développement durable. De manière générale, dès sa création l'OMC a décidé de regrouper les aides "strictement interdites" dans la boîte rouge, les aides dites "limitées et en voie de réduction" dans la boîte orange et les aides "autorisées" dans la boîte verte .Cependant, l'Accord sur l'agriculture (AsA) à l'OMC déroge au système traditionnel des boîtes : en effet il ne comporte pas de boîte rouge mais remplacée par une "boîte bleue" recouvrant toutes les aides dites "tolérées". Dans le domaine de l'agriculture, on distingue alors boîte orange, boîte bleue et boîte verte (art. VI de l'Accord sur l'agriculture). Cette approche différente du système incite notamment les pays développés (UE et Etats-Unis) à réduire progressivement leurs subventions à l'agriculture pour finalement aboutir à une libéralisation totale de l'agriculture à l'avenir. Alors que les aides de la PAC font l'objet de limitations au sein de l'OMC, les aides découplées et le second pilier de la PAC (développement rural) n'ont pas été inclues dans la boîte orange et s'avèrent regroupées aujourd'hui dans la "boîte verte" non limitée par l'OMC.
Les boites de l'OMC :
rouge : toutes les mesures visant à protéger les revenus des agriculteurs contre la concurrence internationale en leur versant des subventions (strictement interdites). orange : le soutien aux prix et toutes autres formes de soutien interne "ayant des effets de distorsions sur les produits et les échanges" (comme les aides proportionnelles aux quantités produites). Bleue : aides plafonnées (limitées) "étant normalement du ressort de la boîte orange et classées dans la boîte bleue si la mesure en question impose également des réductions de production aux agriculteurs". verte : aides n'ayant aucun effet de distorsion sur les échanges et la production de biens agricoles, financées par les fonds publics et ne faisant pas l'objet de soutien des prix (par exemple tout programme visant à protéger l'environnement).Compte tenu des évolutions récentes vis-à-vis du commerce avec les pays tiers, on pourrait se demander si le second pilier de la PAC, qui vise notamment à promouvoir le développement rural et la qualité des produits, n'est pas une nouvelle forme de protectionnisme, que l'on pourrait qualifier de "déguisé". En effet, en transférant les deux tiers de ses aides vers la boîte verte du fait du découplage et d'une argumentation fondée sur la protection de l'environnement, l'Union Européenne a su réduire ses subventions internes de 70% ainsi que les subventions à l'exportation de manière substantielle, pour les remplacer par des aides aux agriculteurs "pour sauver l'environnement", donc non limitées par l'OMC. En légitimant les aides actuelles de la PAC par des mesures environnementales et en plaçant ainsi les subventions dans les boîtes bleue (aides tolérées) et verte (aides non limitées), les mesures protectionnistes de la PAC s'avèrent alors toujours tolérées voire non limitées. Ainsi, les prix des produits agricoles de l'UE sont maintenus au niveau des prix mondiaux et les droits de douanes peuvent être abaissés. Relégitimant ainsi l'existence de la PAC, la boîte verte s'avère donc un des derniers boucliers de l'agriculture européenne. Cependant, la PAC a également su développer d'autres mesures visant à protéger son agriculture, notamment à travers les "normes sanitaires". Celles-ci permettent d'attribuer les aides aux agriculteurs en fonction du respect des normes des exigences en termes de qualité et de standardisation, ce qui au final risque d'entraver de manière non négligeable le commerce avec les pays tiers. Du fait du découplage et d'une PAC toujours plus orientée vers le développement rural, l'UE a réussi à transférer 88 % de ses aides dans la boîte verte. Le Brésil, par exemple, a longtemps dénoncé le protectionnisme européen dans la mesure où on lui interdit d'exporter de la viande porcine en Union Européenne, notamment à cause des normes sanitaires strictes de la PAC. Or, vu que la peste porcine n'existe plus dans ce pays, il devient clair que de telles normes sanitaires risquent de servir de simples mesures protectionnistes. La mise en place de telles normes reste toujours un sujet de débat et peut faire l'objet d'entraves à la concurrence internationale.Conçu initialement pour libéraliser "progressivement" l'agriculture au niveau mondial, le système des boîtes à l'OMC a permis de justifier le maintien d'une certaine protection de l'agriculture européenne au niveau international. Comme le montre la tendance de cette dernière décennie, l'UE a profité du développement de son deuxième pilier de la PAC pour transférer les aides directes dans les boîtes bleues et vertes. En réaction les pays en développement (PED) et Organisations non-gouvernementales (ONG) appellent à la "souveraineté alimentaire" interdisant les exportations à un prix inférieur au coût total moyen de production de chaque pays. Mais jusqu'où l'Union Européenne sera-t-elle tentée de transférer ses aides dans la boite verte ? Et jusqu'où sera-t-elle prête à libéraliser son agriculture ? Telles se présentent les questions à aborder lors des réformes de la PAC en 2013.


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