Protectionnisme américain. Subventionnisme européen. Frilosité de l'Inde et du Brésil. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les accords commerciaux internationaux sont comme des saucisses, pour reprendre une expression du journal le Times. «Mieux vaut ne pas regarder comment ils sont faits». Ouvert en 2001 dans la capitale du Qatar, le cycle de Doha de l'OMC, qui devrait connaître son épilogue en 2007, bute encore sur les obstacles rencontrés dans le domaine des services, dans les questions des subventions agricoles, de même que dans celui de la libéralisation des marchés pour les produits non agricoles. Malgré les envolées lyriques sur les bonnes intentions des pays développés, prétendant que les négociations du cycle de Doha sont une occasion de «sortir des millions de gens de la pauvreté d'ici à la fin de 2006», il ne fait aucun doute que la réalité est plus amère. Ce que l'on constate au contraire, c'est que c'est chacun pour soi. L'accord à minima conclu dimanche en est une preuve patente. Les deux décisions qui ressortent de l'accord, à savoir la fin des subventions, essentiellement d'ici à fin 2013, en particulier sur le coton américain, et la possibilité pour les pays pauvres d'exporter librement la plupart de leurs produits vers les pays riches, en est une illustration, ce qui fait dire au Financial Times qu'après une semaine de négociations, le cycle de Doha «respire encore, mais tout juste». Les ministres l'ont maintenu sous assistance respiratoire. Les négociations vont devoir le ressusciter au début de l'an prochain. Les accords conclus sont modestes, d'autant plus que leur vertu est d'éviter l'échec. Mais le mieux n'est-il pas l'ennemi du bien? Partant de ce principe, de nombreuses voix voient dans cette rencontre de Hong Kong la poursuite de la politique des petits pas, en acceptant le prix à payer pour obtenir des progrès minimes. D'autres n'hésitent pas à parler d'un verre à demi-plein ou d'un verre à demi-vide, réservant leurs critiques les plus acerbes au protectionnisme des Etats-Unis, pourtant les plus farouches défenseurs de l'ultra libéralisme. Dans une allusion à l'accord obtenu au forceps sur le budget de l'Union européenne, certains voient dans Pascal Lamy, le patron de l'OMC, et dans Angela Merkel, la chancelière allemande, des faiseurs de consensus. La cause de tout ça? L'égoïsme des grands pays développés, pense le journal français Libération, qui estime que dans les négociations commerciales type OMC, personne ne pense aux autres mais seulement à soi. Exit la solidarité. «L'ultra-libéralisme a dû mettre de l'eau dans son whisky, mais Hong Kong s'inscrit bien dans un cadre de référence libéral». Les pays développés mettent en avant le désarroi provoqué par le textile chinois pour crier haro sur l'arrivée des produits agricoles en provenance des pays du Sud. Néanmoins, les uns et les autres conviennent que les accords de Hong Kong ont fixé des échéances suffisamment lointaines pour que personne ne soit pris au dépourvu. Finalement, c'est le directeur général de l'OMC, le Français Pascal Lamy, lui-même, qui a trouvé la meilleure formule pour qualifier la manière dont se déroulent les négociations. Que dit le DG de l'OMC? «La question après Hong Kong est peut-être de repenser l'OMC» a-t-il estimé. L'organisation n'a pas d'autres règles dans la négociation que deux principes, le «bottom up», c'est-à-dire l'initiative par le bas, et le consensus. Cela veut dire, quoi, sinon que, comme dans la théorie des jeux, la solution, ce sont les coalitions. Dans le cadre de l'OMC, ces coalitions sont nées de cette nécessité de trouver des compromis entre des intérêts très divergents. En clair, il a été vérifié à Hong Kong que le groupe des grands pays émergents, soit le G20, conduit par son coordinateur brésilien Celso Amorim, s'est installé au centre de la scène, en plaçant l'Union européenne et les Etats-Unis sur la défensive. Moins structuré, le G90, qui réunit les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), l'Union africaine et les pays les moins avancés, a mis le paquet sur le développement des pays pauvres. Les autres coalitions plus anciennes sont constituées par le groupe de Cairns (grands exportateurs agricoles), le G10 (pays avancés aux agricultures très protégées), le Caricom (Caraibes) et bien sûr, les deux géants du commerce international : l'UE et les Etats-Unis. Les représentants de ces différents groupes, qui se réunissent dans un cadre tout à fait informel, connu sous le nom de la chambre verte, constituent, pour rependre une expression de Pascal Lamy, un comité de pilotage qui ne dit pas son nom. Tout cela se fait sous la houlette d'un noyau d'animateurs: le G4, à savoir Etats-Unis, Union européenne, Brésil et Inde. Le DG de l'OMC prévoit que le processus va se stabiliser pendant un certain temps, du moins jusqu'à la fin du cycle de Doha, mais il faudra bien ensuite un toilettage des structures et une réforme des institutions, comme suggéré par l'ancien directeur général Peter Sutherland.