La commissaire à l'Agriculture va présenter le 20 mai des projets de réforme de la Politique agricole commune visant à poursuivre la suppression des aides liées directement à la production, à promouvoir une agriculture durable et le développement rural. La flambé des cours mondiaux des matières premières agricoles et la hausse persistante des prix des produits alimentaires dans l'Union européenne ne pouvaient pas tomber plus mal pour Mariann Fischer Boel. La commissaire à l'Agriculture s'est d'ailleurs sentie tenue d'affirmer, en préambule à ses propositions de règlement que la Commission européenne doit adopter ce 20 mai, que le cap choisi voici cinq ans pour la Politique agricole commune (PAC) reste toujours le bon. Les trois projets de règlements qu'elle propose s'inscrivent effectivement dans la continuité de cette réforme de 2003 : suppression des aides liées directement à la production ("découplage"), promotion d'une agriculture "durable" et transfert progressif des dépenses de marché au profit du développement rural. Il faut dire que la crise alimentaire dans les pays pauvres fait ressurgir le conflit autour de la politique agricole commune (PAC), Londres et ses alliés criant haro sur les subventions agricoles, alors que pour Paris et Berlin c'est plutôt la preuve qu'il faut préserver le modèle. Les propositions que doit présenter mardi la Commission européenne pour "moderniser" la PAC, appelées "bilan de santé", contribuent à rallumer la polémique : Bruxelles va plutôt dans le sens des réformes voulues par Londres, augurant des négociations délicates entre les pays de l'Union européenne. Le Royaume-Uni, vieil adversaire de la PAC qui compte à elle seule pour près de 40% du budget de l'UE, a sonné la charge cette semaine. Dans une lettre envoyée aux 27 pays de l'UE, et signée du ministre des Finances Alistair Darling, Londres les exhorte à revoir complètement le système en place pour ne pas "contribuer à faire inutilement enfler les prix alimentaires" et "remettre en cause les progrès que nous avons faits pour réduire la pauvreté" dans le monde. Les Britanniques demandent la libéralisation du commerce agricole : "il est inacceptable que l'UE, en ces temps de forte inflation alimentaire, maintienne des droits de douane très élevés sur de nombreuses matières premières agricoles", tonne le ministre. Londres en profite pour redemander la fin des subventions dans l'UE ainsi que de tous les mécanismes de prix garantis aux exploitants "conçus pour maintenir les prix agricoles européens au-dessus des prix mondiaux". La Grande-Bretagne, soutenue à des degrés divers par les pays scandinaves, reprend en cela certains des arguments avancés par les pays en développement et les ONG. La PAC, en protégeant excessivement les agriculteurs européens à coup d'aides et de barrières douanières, pénaliserait les pays pauvres, désavantagés et empêchés de vendre leurs produits, et donc de se développer. C'est le principal enjeu du reste des négociations en cours à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), où l'Europe est sous pression des pays émergents pour réduire ses aides agricoles afin de stimuler les échanges. Les conclusions tirées de la crise alimentaire par la France et d'autres grandes puissances agricoles européennes, comme l'Allemagne, sont diamétralement opposées. "On n'aide pas les faibles en affaiblissant les forts", rétorque le ministre allemand de l'Agriculture Horst Seehofer. "La bonne réponse n'est pas le tout libéralisme", lui fait écho son homologue français Michel Barnier. Il est essentiel "de garder un soutien (aux agriculteurs) qui a des contreparties importantes pour les consommateurs et les citoyens : une offre alimentaire sécurisée, diversifiée, des activités agricoles réparties sur tout le pays et qui font vivre les territoires les plus fragiles", a récemment souligné ce dernier. La France, qui va prendre en juillet la présidence semestrielle de l'UE, a d'ailleurs pris les devants en cherchant très tôt à tirer argument des problèmes mondiaux de sécurité alimentaire pour défendre la PAC. Un modèle vu comme une panacée pour l'autosuffisance et qu'elle souhaiterait même exporter dans le monde en développement. Elle entend aussi poser rapidement les jalons du débat ultra-sensible qui se profile pour les années à venir sur le budget agricole de l'UE après 2013, menacé de baisse.