Paraphé en 2006 chez son éditeur Julliard, "Les Sirènes de Bagdad" de Yasmina Khadra adapté théâtre a été présenté la semaine dernière sur les planches de La trappe à Paris. C'est la deuxième roman qui a été mis en scène après "L'attentat " paraphé par Ahmed Khoudi. Porté par trois voix, celles de Rachid Benbouchta, Farid Bentoumi et Catherine Le Hénan, " Les Sirènes de Bagdad " a été créé au théâtre dans une adaptation et une mise en scène signées René Chéneaux. Évoquant la force du texte de Yasmina Khadra, le metteur en scène estime qu'il expose un théâtre d'idées plus qu'une matière offerte au voyeurisme. Il cherche la ligne de crête, à la manière d'Eschyle ou Camus, entre l'acte dément et l'acte juste, entre le terrorisme et la révolte. La pièce a déjà fait le tour en 2009 de quelques salles parisiennes dont le Théâtre de Vanves, le Centre culturel algérien, Vitry sur Seine au Théâtre Jean Vilar etc…. "Les Sirènes de Bagdad" est le dernier volet de la trilogie de Yasmina Khadra consacré à la violence qui oppose de grands pans de l'Orient à l'Occident. Ce roman s'attache à démonter le mécanisme qui transforme un homme ordinaire en machine à tuer, en terroriste, en kamikaze. Une réflexion amorcée dans L'attentat, un roman d'actualité brûlante, mais plus encore, une réflexion sur la fragilité de notre humanité. Publié en 2006 au Québec, ce livre n'a pas enthousiasmé les québécois. L'écrivain au célèbre pseudonyme, dont les ouvrages ont reçu certaines des plus hautes récompenses en littérature et qui jouit d'une solide reconnaissance, se dit extrêmement déçu de cet accueil réservé. " Je ne comprends pas, cela n'a pas marché au Québec, les gens n'étaient pas intéressés, alors qu'au Canada anglais les lecteurs ont acheté le livre, et ailleurs aussi, en Allemagne par exemple. " " Ce sont pourtant des sujets fondamentaux, et j'ai voulu aller au bout de la réflexion, pour montrer comment des individus peuvent être ainsi ballottés au bout de la violence. Je voulais montrer toute la fragilité humaine." Le narrateur est un jeune villageois du désert irakien dont le séjour d'étudiant à Bagdad a été interrompu par l'intervention américaine de 2003. Deux épisodes particulièrement violents vont achever de faire de ce jeune bédouin sans histoire un prétendant au sacrifice kamikaze. Le second a lieu lors de l'irruption de soldats américains au milieu de la nuit dans la maison familiale. Là, il assiste au spectacle humiliant de ses sœurs blafardes, à moitié dévêtues avec leur marmaille en pleurs, de sa mère éperdue et de son père au regard sinistré, à moitié nu, au slip avachi. Et puis le coup de crosse d'un GI, suivi de la chute du père et de l'irrémédiable. Car alors songe le narrateur, "voir le sexe de mon géniteur, c'était ramener mon existence entière, mes valeurs et mes scrupules, ma fierté et ma singularité, à une grossière fulgurance pornographique". A cet instant, il sait que plus rien ne sera comme avant et qu'il se trouve "condamné à laver l'affront dans le sang". Dans ce roman qui clôt la trilogie entamée par Les Hirondelles de Kaboul et poursuivie avec L'Attentat, Yasmina Khadra dit être allé chercher "au commencement du malentendu, au plus proche de cet homme qui, un jour, décide de se faire sauter au milieu d'innocents", aux fins de sensibiliser le lecteur et lui prouver "que ce monde-là ne traverse pas une crise idéologique mais politique". "Certains croient que le terrorisme est une seconde nature chez les Arabes et les musulmans, ajoute Yasmina Khadra, "or, ce sont précisément ces derniers qui en souffrent le plus et qu'on essaye d'isoler ainsi dans leur tragédie". Mortelles sirènes Yasmina Khadra décrit sans raccourcis la chute vers le désespoir, de plus en plus rapide et irréversible, la fragilisation de l'être privé de sa fierté, la tentation terroriste, son univers, ses pièges et ses attraits. Car Les sirènes de Bagdad, c'est la tentation de se perdre, d'anesthésier la douleur dans l'anéantissement de l'autre et de soi. Profondément humaniste, Yasmina Khadra montre aussi et peut-être surtout de façon particulièrement poignante, en des termes simples, aux accents authentiques, le sursaut vital de l'homme, qui au plus profond de la noirceur, trouve quand même la force de se propulser vers la lumière. " Dans plus de 70 % des cas, le geste terroriste n'est pas posé, ultimement ", explique l'auteur. S'il jugeait indispensable de livrer cette trilogie, Yasmina Khadra se dit profondément vidé par l'entreprise, épuisé. " Il est temps pour moi de me tourner vers d'autres projets littéraires, mes lecteurs l'attendent ", dit-il, " mais pas tout de suite " avait-il dit à la sortie de cet ouvrage.