Le premier ministre Ianoukovitch affirme qu'il n'a pas "peur du peuple", "ni des urnes", une manière indirecte de reconnaître que son adversaire, le président Iouchtchenko, a pris la main. Rien n'est encore joué ni sûr dans le jeu byzantin de la politique ukrainienne. Les politiciens des deux camps continuent de montrer leurs muscles. Dans les rues de la capitale, le peuple " bleu " monté de l'Est vers Kiev pour défendre le pouvoir législatif, poursuit ses défilés. Dans les régions, les partisans du président disent avoir commencé à se préparer au scrutin, alors que l'autre camp dénonce des préparatifs anticonstitutionnels. Mais le sentiment qui commence à s'imposer est qu'un scénario de crise négocié, comprenant des élections anticipées, pourrait être en train d'émerger à Kiev, n'en déplaise aux cassandres journalistiques russes décrivant un pays " au bord de la guerre civile ". Mercredi déjà, le premier ministre Viktor Ianoukovitch n'avait pas exclu devant les ambassadeurs étrangers d'aller aux urnes sous certaines conditions. Hier, lors d'une conférence de presse où il s'est efforcé d'apparaître en homme d'État responsable, attaché à maintenir l'Ukraine dans " l'espace légal et démocratique ", Viktor Ianoukovitch - dont l'apparence jadis rugueuse et le discours se sont beaucoup modernisés - a répété plusieurs fois qu'il n'avait pas " peur des urnes ni du peuple ". Bien sûr, le premier ministre estime que " la priorité est d'attendre la décision de la Cour constitutionnelle ", pour que " le pays ne sorte pas de l'État de droit simplement parce que le président ne peut se faire à l'idée qu'il a perdu les élections ". Ianoukovitch appelle d'ailleurs les juges de cette instance à fournir au pays une décision " dans les prochains jours ". Mais, fait important, le chef du gouvernement reconnaît que " si la Cour devait attendre un an, deux ans ", pour se prononcer, il faudrait bien " trouver une solution politique ". " Nous n'avons pas peur des élections anticipées ", a-t-il redit dans ce contexte. Le premier ministre a aussi implicitement dessiné les conditions qui pourraient être mises dans la balance. Se prononçant pour " une nouvelle loi électorale ", il a rappelé que la Commission électorale actuelle ne pourrait organiser un scrutin valide alors qu'" elle ne comprend pas un seul représentant du Parti des régions ", première fraction à la Rada. Il s'est aussi élevé contre la date du 27 mai, selon lui irréaliste. " Nous ne prendrons aucune décision susceptible d'envenimer le conflit politique ", a répété maintes fois Viktor Ianoukovitch, excluant de demander l'impeachment du président ou d'exiger la tenue d'une présidentielle anticipée en échange de l'acceptation de la dissolution du Parlement. Cette volonté d'apaisement, qui indique implicitement que le président Iouchtchenko a repris la main, s'expliquerait par plusieurs facteurs. Le facteur oligarchique, tout d'abord, qui, à en croire des sources informées, aurait joué largement en faveur de la conciliation. " Aucun des grands oligarques ne veut d'une crise majeure, qui nuirait à leur business ", confiait hier le politologue Volodymir Fesenko, soulignant notamment le rôle clé du milliardaire Renat Akmetov. La deuxième explication tiendrait à ce que le premier ministre Viktor Ianoukovitch est assuré de revenir en bonne place au Parlement, en cas de scrutin anticipé. Selon les derniers sondages, même si les " orange " ont une petite chance de créer une coalition majoritaire, le Parti des régions resterait en tête des intentions de vote, avec quelque 30 %. La mollesse de la mobilisation populaire serait un troisième facteur d'apaisement. " Maidan 2 n'aura pas lieu, ni d'un côté, ni de l'autre, estimait hier un homme d'affaires européen. La mobilisation des "bleus contre la dissolution reste superficielle. Ils ne sont pas chez eux à Kiev. La capitale, toujours acquise aux"oranges, ne les laissera pas devenir un facteur de poids dans la crise. "