L'arène culturelle algérienne connaît chaque été une fébrilité particulière. Ici et là des affiches plus ou moins attirantes maistoujours tournées vers la chose lyrique, l'animation ou encore de l'activisme artistique bon à mourir après l'extinction des feux. Le gros des programmes de nos institutions culturelles se fait généralement en été et de manière plus traditionnelles, pendant les soirées ramadanesques. Dans nos salles, point d'Opéra ni de grands films qui peuvent faire date et qui rendent fécond. Depuis 2003, une floraison de festivals est née. Il existe à plusieurs festivals institutionnalisés à travers tout le territoire national, une centaine à peu près. Ceux-ci sont consacrés dans la plupart des cas à la chanson et à la musique tous genres confondus : festival de la chanson arabe, festival du rai, festival du gnawi, festival du hip hop, festival de la chanson chaâbie, festival du malouf, festival de la chanson andalouse, festival de la chanson oranaise, festival international de Timgad etc… Quel est le but de ces rendez-vous qui de plus en plus se sédentarisent en ne laissant aucune trace particulière dans les contrées où ils se produisent. Les initiateurs des ces rencontres voient en cette animation nouvelle qui se pérennise une "manière de faire, initiant un pan de notre culture et en même temps de découvrir des talents qui n'ont pas toujours la chance de trouver des espaces d'expression et de faire parler d'eux." Dans la plupart des cas, ces festivals ont leur propre jury qui décide à la fin de chaque compétition -quand bien sûr le festival est compétitif ce qui n'est pas toujours le cas- de distinguer celui qu'il juge comme étant le plus performant au point de vue de la prestation. Des noms d'associations ont circulé, des noms de chanteurs aussi, mais concrètement ces lauréats sont vite oubliés une fois que les feux du festival auquel ils participent sont éteints. Contrairement aux grands festivals du monde, les prestations des artistes et surtout les vainqueurs d'une compétition lyrique s'accompagnent par un marketing ahurissant qui ouvre tant de portes aux participants. Ces compétitions étrangères relayées par les médias lourds occidentaux gonflent les recettes des boites de production, font envoler les ventes, sortent de l'ombre à la lumière des artistes qui ont certainement travaillé dur pour toucher le firmament de leur gloire. Les détenteurs de trophées signent des contrats sur le champ, sillonnent les arènes du monde, boostent la production artistique et les boites qui les accompagnent ; ce qui n'est pas le cas chez nous. Les fêtes de mariage, un gagne pain Si chez nous un chanteur s'en sort ce n'est généralement pas grâce à son talent. On connaît de piètres interprètes qui n'ont ni voix ni création qui roulent sur l'or. Depuis l'apparition des salles des fêtes, les chanteurs investissent de plus en plus ces espaces intimes et fermés qui leur permettent le temps d'un après-midi festif de récolter de gros sous. Y en a même qui font jusqu'à 10 mariages par semaine! Généralement leur répertoire est très éclectique ce qui leur permet de satisfaire tous les goûts, toutes les demandes. "Les fêtes de mariage c'est çà qui nous sauve " nous dit une chanteuse de hawzi. Il y a tellement de chanteurs qui si tous attendaient une invitation des institutions de notre pays ils peuvent mourir de faim " ajoute t-elle. Et l'édition alors? Ces chanteurs de variétés éditent certes des albums mais ceux-ci n'ont rien à avoir avec la création puisqu'en général leur répertoire est une compilation parmi des classiques séculaires ou des titres en vogue. Pour commerce donc. Une production qui est sapée par le phénomène du piratage et de la contrefaçon des produits de l'esprit, pourtant protégés par des organismes comme l'ONDA. Dans ces mariages, tout le monde trouve son compte : les invités parlent avec fierté du spectacle auquel ils ont assisté, les gérants de salles bénéficient d'un créneau publicitaire gratuit et l'équipe qui anime se fait son beurre. Un DJ, parait moins glorificateur q'un chanteur qui passe à la télé et qui a quelques CD sur les étals des disquaires. Du coup, les familles font tout pour s'arracher une voix parmi les voix de notre terroir, une façon de laisser dans les mémoires une trace d'un mariage fastidieux avec la présence d'une "vedette" qu'on verra plus tard sur les podiums de la télé ou sur les jaquettes d'un disque. Le cinéma et le livre s'évaporent en été Nos espaces culturels en été sont tellement inondés de sons qu'il n'y a plus de place pour se mettre un film, aller chercher un livre. Les festivals de cinéma arrivent difficilement à s'implanter et à se pérenniser lorsqu'il se créent. Ça nécessite certes plus d'argent que la chose lyrique, ça demande des salles sombres, des professionnels et surtout des films neufs, des invités qui viennent d'ailleurs bref une industrie ! A peine a-t-il vécu deux années qu'il trépassent en chemin, le festival de Cannes juniors de Timimoun. Idem pour le festival du cinéma arabe d'Oran. Pareil pour le festival du court métrage de Taghit qui n'a pas fait long feu. Seul festival qui tente de résister par une sombre volonté, c'est celui du cinéma Amazigh. Un genre nouveau qui peut même paraître ghettoisé du fait qu'il soit confiné dans une région ethnique à part, la Kabylie et qu'il ne sorte généralement jamais de cette contrée hormis lors de circonstance très officielle. Pourtant on a vu que des noms ont germé quand l'occasion est offerte à un cinéaste de faire des films. Ça coûte très cher, mais un pays qui a besoin de ses héros s'en glorifie. Les trophées qu'a raflés Yamina Bachir Chouikh avec son "Rachida " ainsi que ceux glanés par Lyes Salem pour son "Mascarade ", la réputation de Rachid Bouchareb pour son "Indigènes" ne laisse pas les politiques indifférents. Ils ont besoin de référence et ils ont participé en aidant ces cinéastes à la création de repères dans un système cinématographique en déclin. Grace en partie au film "Indigènes", le gouvernement français a récemment aligné les pensions des anciens combattants africains sur celles des français pendant la deuxième guerre mondiale. Jusque là la pension des " Indigènes " était de 80 Euros, soit sept fois moins que celle des combattants français. Le film de Bouchareb restera ainsi dans les annales pour avoir rendu justice avec une œuvre artistique à tous ces anonymes floués par une politique méprisante pendant plus de 50 ans. Et le livre…… Le livre a ses salons. Le plus en vue est le salon international du livre d'Alger. Régulier, ce rendez-vous draine des milliers de visiteurs, des centaines de professionnels. Il se pérennise aussi tout comme le salon du livre jeunesse. Ces rendez-vous conjoncturels sont importants certes, mais pas suffisants pour fabriquer des lecteurs, des amoureux de la chose livresque. Ça peut sans doute se réaliser si nos contrées avec leurs bibliothèques municipales, si nos écoles se tournaient vers un programme spécifique de la littérature, si nouveautés et classiques étaient à portée de main. En été, hormis quelques actions ponctuelles à l'adresse du livre, personne n'y pense. Et pourtant, une musique de variétés peut s'arrêter mais un texte de fond rend si fécond !