A l'ère de la mondialisation galopante et de la multiplication des regroupements économiques régionaux, le Maghreb continue d'évoluer en total déphasage de la réalité mondiale. En l'absence d'une initiative propre aux trois pays du Maghreb, les débats se poursuivent au sein des groupes de travail et des institutions maghrébines tels que l'UBM , qui a largement, à travers ses rencontres et ateliers,cerné les différents obstacles se dressant face à l'intégration économique des trois pays, mais également aux défis qu'il leur reste à relever. L'intégration maghrébine est un choix stratégique en ce sens que la formation d'un bloc régional efficace renforce le pouvoir de négociation des pays vis-à-vis des partenaires commerciaux, représente un laboratoire exploratoire pour des négociations et des réformes futures plus globales, augmente la taille du marché et favorise la spécialisation intra-industries, ce qui se traduit par des gains d'efficience importants, attire les IDE et accroît le volume des échanges. Le Maghreb : Quel est le but des rencontres maghrébines qu'organise l'Union des banques maghrébines ? M. Mohamed Rachid Larbi : Les rencontres que nous organisons à l'intention des banques du Maghreb, s'insèrent totalement dans notre programme d'action 2007, qui a été approuvé par le conseil d'administration le 24 novembre 2006 à Casablanca (Maroc). Ce même programme prend en considération les orientations qui ont émané de la rencontre de Rabat le 28 décembre 2006, qui a fait un nombre de recommandations dans le cadre de l'assainissement et l'application financière maghrébine. On a déjà organisé auparavant une rencontre sur le développement de la carte bancaire au niveau du Maghreb et aussi récemment une autre rencontre sur les modalités d'application des règles de Bâle II et l'état de préparation de nos banques et des banques centrales qui sont les régulateurs pour l'application de ces mêmes règles. Pensez-vous que le climat financier des pays du Maghreb permet l'application des règles de Bâle II ? Les règles de Bale II sont extrêmement difficiles à appliquer. On a vu les interventions des experts européens et américains et les difficultés qu'ils ont rencontré. Maintenant pour revenir aux banques du Maghreb, les règles de Bâle II, il faut le dire, induisent beaucoup d'avantages, mais aussi des difficultés. Pour ce qui est des avantages, ceux-ci permettront à nos banques de se mettre à niveau, de se moderniser en terme d'organisation et d'être plus transparentes et enfin d'assurer une sécurité financière pour elles-mêmes, pour leurs clients et pour l'ensemble de l'économie. Par contre pour ce qui est des inconvénients, nous n'avons pas atteint l'état de préparation organisationnel pour appliquer les règles de Bâle II dans les meilleurs délais. Nous n'avons pas les moyens, l'expertise et les compétences pour le faire dans le meilleur délai et cela nécessite énormément d'investissement ; investissement en équipement, en matière d'audit et d'organisation, en matière de préparation de l'infrastructure, l'organisation d'un système d'information, l'assainissement des fichiers, la segmentation de la clientèle ; tout cela nécessite des travaux extraordinaires qui prennent souvent de 3 à 5 ans. L'application des règles de Bâle II ne peut se faire qu'à long terme et ça nécessite beaucoup de préparation. Aussi, les banques du Maghreb se trouvent à des situations différentes, d'abord de par l'origine de leurs actionnaires (l'actionnariat), nous avons dans les pays du Maghreb des banques privées à capitaux privés nationaux, des banques privées à capitaux étrangers et nationaux et des banques publiques. Donc chacune d'elles a des différences. Ensuite nous avons des banques de grande taille, des banques moyennes et des banques qui démarrent qui viennent juste d'investir et qui viennent de s'installer, ceci d'une part. On ne peut pas donc appliquer ces règles de la même manière et d'une manière homogène à toutes les banques. Une petite banque a des moyens et elle bénéficie de l'avantage de pouvoir rapidement s'adapter en terme d'organisation, de recrutement du personnel compétent et de mettre en place des systèmes d'information. Néanmoins, cela nécessite quand même beaucoup de capitaux pour réaliser ces investissements, et si elles mobilisent ces investissements, ces banques devront augmenter leurs fonds. Or si elles doivent augmenter leurs fonds pour investir pour elles-mêmes, il ne restera pas grand chose pour l'octroie des crédits et c'est ça le problème. Dans tous les cas de figure, la mise en place des règles de Bâle II nécessite beaucoup d'organisation des banques mais cela exige beaucoup d'implication de l'autorité de régulation qui est la Banque centrale. La Banque centrale doit être le chef de fil et le pilote de cette opération parce que c'est elle le régulateur, c'est elle la responsable de la réglementation et l'encadrement de l'activité bancaire, c'est elle qui est responsable de la sécurisation des comptes. Que pensez-vous de l'ouverture que connaît le marché financier algérien ? Le cas algérien est un peu typique, parce que celui-ci est ouvert. Nous sommes passés de 5 ou 6 banques publiques à plus de 30 banques et établissements financiers d'origines diverses. Le paysage bancaire, largement diversifié, permet la subsistance de la concurrence, de la compétitivité et ça permet aussi aux clients de faire leur choix, ça c'est un avantage. Les banques en Algérie s'occupent beaucoup plus du commerce extérieur et des opérations qui ne sont pas trop risquées. C'est vrai que la prestation de services reste à améliorer, mais si nous revenons au sujet de l'application des règles de Bâle II, tout ce qu'on a exposé, tout le travail de préparation, de segmentation de la clientèle, la collecte des ressources, les banques en Algérie seront obligées un jour ou l'autre de se mettre au niveau international et régional et pour preuve, les choses avancent, peut-être lentement, mais elles avancent, il y a la préparation du CPA à la privatisation et si demain, cette privatisation est une réussite, vous verrez l'impact général sur le système bancaire et le paysage bancaire en Algérie et le changement radical qu'il va y avoir. Il y a aussi l'impact que va avoir l'implantation de banques étrangères, toutefois si elles apportent leur know how, la prestation de service et sa qualité. C'est vrai que ces banques peuvent apporter un plus pour l'économie algérienne et il faut de l'expertise. Ceci va-t-il influencer sur la rentabilité de nos banques ? Non, la rentabilité tient d'abord au niveau des capitaux engagés et surtout à la qualité des prestations. Une banque qui est gérée dans la transparence, qui diminue ses risques, qui apprécie correctement ses risques, c'est une banque qui fera des bénéfices, maintenant si les crédits sont octroyés dans des conditions pas très claires ou si on ne maîtrise pas le marché, c'est une situation tout à fait différente. Les banques ne maîtrisent pas leur situation de marché parce que, d'une part, il n'y pas de données sur le marché, et pas de statistiques ni des références pour que les banques puissent se préparer; ensuite, quand l'entreprise cliente se présente à une banque, souvent les documents comptables ne sont pas très nets, ne sont pas transparents et ne reflètent pas la réalité. Il s'agit ici du rôle de l'actionnaire, du propriétaire, d'avoir l'information claire. Ensuite, tout ce qui tourne autour de la banque, les impôts, les salariés, l'Etat… etc et si le propriétaire lui-même ne s'occupe pas de cela qui va le faire ? Donc, la banque, tout ce qu'elle peut faire, c'est de faire confiance aux documents présentés par l'entreprise et essayer de vérifier les données sur le marché, mais très souvent les données sont fausses, et comme notre marché subit des perturbations continues et permanentes, les banques n'arrivent pas à suivre, y compris les entreprises qui n'arrivent pas à suivre les perturbations du marché et notamment les ouvertures du commerce extérieur avec la libéralisation du marché. Que pensez-vous de la situation du marché boursier en Algérie ? Le marché boursier reflète l'état de l'évolution de l'économie. Une bourse qui n'a pas 40 ou 50 entreprises cotées n'est pas une bourse vivante. L'entreprise qui n'arrive pas à trouver des financements bancaires ou des financements par des actionnaires se tourne vers le marché. Quand on va en bourse, c'est pour ouvrir son capital et mettre des actions, donc on va chercher du financement auprès des particuliers ou des institutions qui veulent prendre des parts du capital de l'entreprise et pour accéder au marché financier, il faut que l'entreprise soit éligible à ce recours du marché financier, ça veut dire que c'est une entreprise qui travaille bien, qui produit, qui dégage des marchés qui fait des bénéfices, ensuite c'est une entreprise transparente, parce que si on veut acheter des actions on le fait dans une entreprise bien gérée, qui dégage des bénéfices. On ne va pas acheter des actions dans une entreprise qui n'est pas bien gérée, qui n'est pas transparente qui est floue et qui ne dégage pas de bénéfices. Il s'agit de placer l'argent dans des actions et espérer gagner plus qu'en le déposant à la banque ou en le gardant chez soi. Si l'entreprise ne me donne pas la possibilité de gagner de l'argent on ne va pas investir et acheter ses actions donc il faudrait que l'entreprise soit transparente, qu'elle ait des documents comptables très nets, qu'elle exerce très longtemps sur le marché et qu'elle soit donc certifiée par la COSOB. Pour ce qui est de la réglementation en vigueur en Algérie, il faut que l'entreprise qui souhaite aller à la Bourse ait au moins au minimum deux années d'existence, des comptes certifiés approuvés par l'assemblée générale, qu'elle puisse donner des éléments sur le marché et sur les perspectives d'avenir, qu'elle renseigne un peu de la qualité de son management et enfin le niveau d'ouverture du capital, si elle l'ouvre pour 5% ça n'intéresse personne, si le capital est ouvert par exemple à 37% ça intéresse les gens. Voilà un peu pourquoi le marché financier n'intervient pas beaucoup, et le marché financier en Algérie a tendance à penser aux entreprises publiques. Il faut impliquer les entreprises privées. Il faudrait qu'il y ait des actionnaires diversifiés, un niveau de capital important, une existence de deux ans de bilans et de comptes certifiés et enfin un visa de la COSOB. Or, à mon sens, je ne connais qu'une seule société en Algérie, une entreprise qui, pour le moment, est inscrite à ce type de financement, en dehors de deux grosses entreprises publiques. Toujours concernant le secteur bancaire en Algérie, il n'y a pas d'avancées en matière d'audit et de contrôle. Quelles en sont les causes à votre avis? La rencontre sur Bâle II nous a permis d'arriver à la conclusion que le contrôle est d'abord l'affaire de l'actionnaire, parce que c'est son argent qui est en jeu. Le contrôle se fait au niveau interne par des structures d'audit et de contrôle et il se fait de l'extérieur, par les commissaires aux comptes. En Tunisie et au Maroc se sont systématiquement les commissaires aux comptes qui interviennent. C'est aussi le cas de l'Algérie depuis quelques années. A partir de 2007 en Tunisie et au Maroc, deux commissaires aux comptes seront mandatés pour chaque opération et, enfin, les actionnaires peuvent, en dehors du contrôle interne et du contrôle des commissaires aux comptes, demander des audits externes, faire appel à des sociétés et cabinets d'audit pour vérifier si les choses vont bien. Et il y a aussi la supervision bancaire. C'est vrai que la Banque centrale a un contrôle important à gérer pour la supervision des banques qui se fait soit par des contrôles sur pièces, sur la base des documents souscrits, soit par le contrôle sur place. Les gens se déplacent et vérifient un certain nombre de données en plus de l'exigence légale en Algérie que les banques doivent publier régulièrement (chaque 3 mois) leurs comptes de résultat et leur bilan dans la presse et que ce soit visible pour tout le monde. Aussi, les rapports et les comptes doivent être approuvés par l'assemblée générale. Ces derniers doivent aussi être publiés dans la presse pour que tout le monde sache comment la banque fonctionne. Parce qu'on a très souvent tendance à croire que l'argent qui est à la banque appartient au propriétaire ; non le propriétaire de la banque ne possède que son capital et la partie débitante qu'il reçoit en fin d'année s'il fait des bénéfices. Tout le reste de l'argent situé au niveau des banques appartient aux prêteurs, parce que les banques empruntent parce qu'il n'y a pas d'actionnaires, le propriétaire de la banque lui même ne possède que le capital et les bénéfices qu'il enregistre en fin d'année après le paiement de ses charges et de ses impôts, et là bien sûr, la seule protection qui vient pour le déposant c'est les procédures d'audits interne et externe et aussi la supervision bancaire ; vous voyez un peu tout ce qui se fait en Europe en matière d'application des règles de Bâle pour sécuriser les banques. Vous avez constaté les cas de faillite à travers le monde qui sont dus au manque de supervision et au manque de gouvernance. Comment voyez-vous l'avenir de la place financière maghrébine ? On me pose souvent cette question en disant : ça n'avance pas. C'est pas une chose facile; en fait, le Maghreb économique est en train de se faire avec ou sans les autorités, les entreprises tunisiennes s'installent en Algérie, les entreprises marocaines s'installent en Mauritanie, les entreprises tunisiennes s'installent en Libye. Certainement, il devrait y avoir des entreprises algériennes installées au Maroc, en Tunisie, je ne connais pas les statistiques en matière d'intégration économique et financière. Elwafatijari bank vient d'acheter la Banque tunisienne du Sud. Nous avons une société de leasing tunisienne installée en Algérie, d'autres banques marocaines à capitaux libyens vont s'installer en Tunisie. Les échanges se font, l'investissement se fait, l'intégration économique est réelle. Par contre les rencontres que nous organisons au sein de l'Union des banques maghrébines ont pour objectif de mettre en relation les gens, échanger leurs expériences, et pourquoi pas servir à des opportunités d'association. Entretien réalisé par