L'écrivain algérien d'expression française Mohammed Moulessehoul alias Yasmina Khadra doit être aux anges. Car les prix, il en raffole et c'est à lui qu'a été décerné vendredi dernier en Belgique le prix "Campus de Cristal" 2010 de la Haute école de la Province de Liège. Le trophée est décerné chaque année par cette prestigieuse école liégeoise à une personnalité du monde médiatique ou culturel. Décerné en 2002, "Campus de Cristal" a été imaginé par des étudiants en communication de la Haute école de la Province de Liège. L'auteur de "Ce que le jour doit à la nuit", a animé une rencontre publique au Palais des Congrès de Liège qui, à cette occasion, a enregistré une affluence record, soit quelque 1.700 personnes, selon les organisateurs qui affirment qu'aucun écrivain n'a réussi à attirer autant de monde en ce lieu. Que demande de mieux un écrivain dans un pays étranger ? On se rappelle qu'en 2007, Yasmina Khadra s'était violemment attaqué aux institutions françaises qui n'ont pas mis en avant son dernier livre, "Ce que le jour doit à la nuit " dans la liste des prix littéraires. Mais une semaine plus tard, à la surprise générale, un jury de téléspectateurs français a décerné le Prix Roman France Télévision 2008 pour le même livre paru chez Julliard et réédité par Sedia en octobre 2008. L'auteur de " Cousine K " clamait fort dans un entretien accordé au quotidien français Le Parisien, que " toutes les institutions littéraires " se seraient liguées contre lui et dénonçant les "aberrations parisianistes " de ces mêmes institutions qui ont écarté son avant-dernier roman des principaux prix littéraires. Pas de Goncourt, ni de Fémina ni de Renaudot, ni de Médicis pour Yasmina Khadra , l'officier des arts et des lettres et chevalier de la Légion d'honneur (pour ne citer que ses distinctions françaises). L'auteur de "Les hirondelles de Kaboul " a remporté le prix France Télévision au 4e tour du scrutin à 13 voix contre 12 pour Jean-Marie Blas de Roblès pour " Là où les tigres sont chez eux " (Zulma). Après le succès des " Hirondelles de Kaboul " (2002), de " L'Attentat " (2005) et des " Sirènes de Bagdad " (2006), l'écrivain retourne à l'Histoire de l'Algérie avec " Ce que le jour doit à la nuit ", un roman fleuve dans lequel il tentait à travers deux personnages une réconciliation algéro-française. Internationalement reconnue, l'œuvre de Yasmina Khadra est aujourd'hui traduite dans 34 pays. L'auteur a obtenu le Prix des Libraires lors du Salon international du livre d'Alger (SILA) 2006 avec " L'Attentat ". Son roman " Les hirondelles de Kaboul " a été consacré meilleur roman de l'année aux Etats-Unis. Ses ouvrages intéressent également le cinéma. " Les hirondelles de Kaboul " devrait être réalisé en France, alors qu'une version filmée de " Morituri " a été réalisée il y a trois ans par l'Algérien Okacha Touita. Dans son " Ce que le jour doit à la nuit ", l'auteur revient à son pays natal, l'Algérie, après nous avoir emmenés en Palestine avec "L'attentat ", en Irak avec " Les sirènes de Bagdad " et en Afghanistan avec " Les hirondelles de Kaboul ". Décoré déjà du trophée de la Légion d'honneur des arts et des lettres, l'écrivain et directeur du Centre culturel algérien à Paris a reçu également un autre trophée, celui de " créateur sans frontières ". Le premier trophée, il l'avait reçu des mains d'une des personnalités françaises très influentes dans le monde de la Culture, Frédéric Mitterrand, alors que le second lui a été décerné par l'organisme " Cultures France". Zoom sur les sans abris Après "Ce que le jour doit à la nuit " un récit sur l'histoire de l'Algérie de 1920 à 1962, l'écrivain change complètement de registre avec " L'Olympe des infortunes " paru cette année chez Julliard, son éditeur attesté, puis deux mois plus tard chez une petite maison d'édition à Constantine, Média plus. Ce dernier récit décrit un monde de marginaux évoluant dans une décharge publique. Son roman est une galerie de portraits et de personnages vivant différemment leur marginalité, et posant un regard personnel sur le monde. "Yasmina Khadra met toute sa verve romanesque au service d'une fable corrosive qui nous plonge dans l'univers des clochards, plein de tendresse, de cocasserie, de rêves invraisemblables et de terribles déconvenues", lit-on dans la présentation de l'éditeur. Celui qu'on présente comme le faiseur de best- sellers, quitte son environnement romanesque de polars, d'histoire de l'Algérie, de guerre en Palestine et de kamikaze, pour explorer un univers tout à fait nouveau pour lui, celui des laissés-pour-compte. "La littérature a le pouvoir de donner une cohérence au chaos, un sens à l'absurde, une dimension à l'indicible, elle est l'esthétique de la banalité, le garde-fou de la fatalité, elle restitue à la vie ce que l'indifférence lui confisque", a-t-il dit dans l'une de ses nombreuses interviews. " Côté people maintenant, il faut rappeler que "L'Olympe des infortunes " a été accusé de plagiat. Lors d'une conférence animée en mai dernier à Constantine, l'écrivain en présence d'un public fort nombreux avait dès l'entrée en matière organisée au théâtre régional de la ville en marge de la séance de dédicaces, s'est défendu contre le "fallacieux" et le "négativisme". Il a aussi souligné que la "complaisance et la détestation" sont les ennemis de l'art. Abordant la problématique des traductions des œuvres littéraires, Khadra a affirmé écrire avec une sensibilité algérienne qu'il serait difficile pour un étranger de véhiculer à travers une traduction, même s'il a vécu dans le pays. Lui-même s'étant essayé à la traduction de son ouvrage L'Ecrivain, (une tâche qu'il avoue avoir abandonnée au bout de 10 pages), "il s'était, dit-il, rendu compte qu'il trichait". Il a expliqué, à ce propos, que le traducteur transpose ses frustrations et ses propres insuffisances au texte. Soulignant, notamment la complexité de cette tâche, il a indiqué que "le traducteur peut enrichir le texte ou l'appauvrir, faire chérir l'auteur ou le rabaisser".