L'entrée en matière c'est déjà de l'humour. Un humour pop, un humour art, un humour tout court 5-2=3 fi aïn el chitane ! C'est le titre d'une expo peinture, inaugurée ce week-end à la galerie Art en Liberté de Kouba, et dont les signataires sont des noms du fameux groupe Essebaghine : Le revenant provisoire, Denis Martinez, le rouquin, Karim Sergoua, et le sérieux, Ammar Bouras. Du monde, il y en avait au vernissage de ce rende-vous plastique plein d'énergie comme chez les Gnawas, exorciseurs de mal. Et l'on retrouve sur les chemins colorés de quelques tableaux vieux et frais, la sempiternelle touche de nos aïeux, transposée des montagnes lyriques du Tassili sur un bout de tissu ou une toile toute en nuance. Le lézard est là avec sa tête et sa queue en spirale, jetant une lumière sortie des lustres, celle à laquelle croyaient nos aïeuls, conjurateurs de mal. Quelques œuvres datant de 1993, année de l'exil de Denis Martinez à Aix-en Provence sont exposés dans un coin, comme un souvenir des années suicide, des années apocalyptiques. Le souvenir des hommes et des femmes qui ont péri pendant cette période, flâne dans les cœurs, les tête, les toiles, et les esprits tatoués. Dans cet immense champ de signes et de symboles, il y a des flèches, des points géométriques, des mains…que les femmes reproduisaient inlassablement derrière leur métier à tisser ou sur des jarres chauffées sur un feu de bois. Toiles en suspens, toiles colorées, toiles reprises dans une provisoire quiétude, spectacle de jours sans fin, de jours sans jour….Denis Martinez, revient vers sa matrice originelle, la toile coupée, lacérée, ouverte au vent et aux signes et symboles ancestraux. Retour vers des lieux ancrés dans les mémoires suite à leur nuit sans fin qui sentent la charogne et le feu. Des nuits de fête à Bentalha, où des matelas sont éventrés à coups de sabre et de hache sous les yeux effarés de mômes au berceau. Bentalha, la contrée cauchemardesque, immortalisée par les restes d'un repas avalés par la terre. Plus de signes et de symboles, plus de lézard fétiche dans cet univers de toutes les horreurs. Rien pour conjurer le mal, rien pour consoler les vivants des pertes incommensurables en surprises. A travers signes, flèches et symboles entrelacés, figurent les “abzims” ce bijou kabyle que portent les mères éblouies de bonheur des retours inespérés de leurs rejetons en exil forcé. Le lézard entrelace encore cet “abzim ” porté lors des grands jours comme pour accentuer les béatitudes. Plus que “de simples clins d'œil ou la marque d'une filiation culturelle ”, l'universitaire Nouredine Saadi voyait dans “ ces juxtapositions de dessins, de surfaces peintes, de sculpto-peintures avec les bestiaires décorés, les oiseaux de poterie traditionnelle, les bijoux de cuir chaouïs ou targuis [...], une recherche esthétique qu'on apparenterait au “ marcottage” : replanter dans l'arbre de la création une tige ancienne pour de nouvelles racines ” (Alger, 1988). Bahas le gambri, le dernier gnawa de Blida, bonnet engoncé et lunettes “ intello ”, joue de son instrument en dansant avec frénesie. Le rouquin Segoua expose quelques œuvres, à l'étage au-dessous, pendant qu'une vidéo dévide inlassablement les images de Ammar Bouras. La touche de Sergoua, il est allé la chercher dans les surface du dehors, apanage de chômeurs en quête de sous, sous un soleil de plomb pour quelques cigarettes étalées au milieu d'une rue bondée sous la peur de la police. Hommage à M'kenesset , Oum El Mekenesset... L'artiste expose, également, des pictogrammes gravés en céramique et un autoportrait fendu en deux, où transparaissent la référence aux gravures rupestres. Chez Denis Martinez, des totems, talismans, figures et masques, ont longtemps balisé des parcours fléchés comme autant de cheminements initiatiques puisant dans l'héritage de l'antiquité africaine et de l'artisanat maghrébin, les motifs d'un langage esthétique. 5-2=3 fi aïn el chitane, est plus qu'une simple expo, c'est le retour vers l'authentique.