L'aggravation des tensions en Egypte nourrit des craintes de perturbations du trafic sur le canal de Suez, qui ont propulsé les cours du baril non loin du seuil symbolique des 100 dollars, l'Opep se disant de son côté prête à agir en cas de pénurie. Ainsi, le secrétaire général de l'Opep, Abdallah El-Badri, a fait savoir hier que les tensions en Egypte pourraient affecter le passage stratégique du canal de Suez et générer une "pénurie" de pétrole. L'Opep se veut toutefois rassurante, annonçant dans le même temps être prête à accroître sa production au besoin. Un million de barils de brut transitent quotidiennement par le canal de Suez, contrôlé par l'Egypte, et qui constitue un des principaux points de passage de pétrole moyen-oriental à destination de l'Europe. Le Caire assure lundi que le canal fonctionne "à pleine capacité". Environ 1,2 million de barils de pétrole brut et 400.000 barils de produits raffinés transitent chaque jour de la mer Rouge à la Méditerranée par le canal de Suez, long de 190 kilomètres. Il est doublé par l'oléoduc Suez-Méditerranée (Sumed) qui a convoyé en moyenne 1,1 million de barils de brut en 2009. L'Egypte est un producteur pétrolier modeste mais "le pays abrite deux routes pétrolières majeures, le canal de Suez et l'oléoduc Sumed", ce qui explique la nervosité du marché, souligne David Hufton, analyste du cabinet londonien PVM Oil Associates. Au total, le canal et l'oléoduc, principales voies d'acheminement du pétrole du Golfe vers l'Europe, transportent 4,5% de la production mondiale de brut. Alors que les opérateurs s'inquiètent de l'ampleur de la contestation égyptienne, les cours du baril ont bondi de près de 4 dollars vendredi à New York, où un volume d'échanges record a été enregistré, et sont montés jusqu'à 99,97 dollars lundi à Londres, un niveau inédit depuis octobre 2008. Les prix du pétrole grimpaient hier après-midi, peu après l'ouverture à New York. Le cours du Brent a ainsi passé le seuil des 100 dollars le baril à Londres vers 17h20 (16h20 GMT), un niveau qui n'avait plus été franchi depuis le 1er octobre 2008, poussé par les inquiétudes persistantes sur la situation en Egypte et les risques de perturbation du trafic sur le canal de Suez. La tension sur le marché s'était pourtant apaisée un peu plus tôt dans la séance le baril de Brent échangé à Londres était venu frôler la barre des 100 dollars, à 99,97 dollars, avant de se replier.Entamée il y a six jours, la mobilisation populaire ne faiblissait pas dans le pays, avec des manifestations toujours importantes, notamment à Suez, ville industrielle marquant l'entrée du canal du même nom sur la mer Rouge. "Il n'y a pas de menace immédiate. Même si Suez a connu des troubles très violents, personne ne s'en est encore pris aux navires. Rien n'indique que les manifestants aient l'intention ou la capacité" de s'en prendre au trafic pétrolier, tempéraient les analystes de Barclays Capital. "Une fermeture organisée du canal exigerait une décision formelle des autorités et l'assentiment des forces armées", faisaient-ils valoir. La fermeture du canal de Suez durant quelques mois en 1956, puis entre 1967 et 1975 après la guerre des Six Jours, a déjà contraint dans le passé les navires pétroliers à un détour long et onéreux autour de l'Afrique, par le cap de Bonne Espérance, pour rejoindre l'Europe. "Alors que l'épicentre de la demande mondiale de pétrole s'est déplacé vers l'Asie, la fermeture du canal aurait un impact bien plus limité que dans les années 1950 et 1960", notait cependant Barclays Capital. Le canal de Suez "n'est pas aussi important que peut l'être le détroit d'Ormuz (au sud du Golfe) par lequel transitent 40% du pétrole mondial. Les violences en Egypte risquent d'être momentanées, avec un reflux des cours dès que la situation se clarifiera", abonde Andrey Kryuchenkov, de VTB Capital. Au-delà du canal de Suez, "si la crise égyptienne se transformait en guerre civile ou débouchait sur la chute du régime, les implications au Moyen-Orient et les risques de contagion à d'autres pays producteurs seraient critiques", estime cependant David Hufton. "Après avoir été pendant des semaines rivé aux dettes publiques européennes, au budget américain ou à la politique monétaire chinoise, le marché du pétrole est revenu désormais aux fondamentaux de la géopolitique", constate-t-il. Certains observateurs tiennent toutefois à relativiser la situation. "Les investisseurs spéculent sur la situation du canal mais ce dernier a très peu de chance de rester bloqué compte tenu des enjeux financiers qu'il représente pour l'Egypte", explique Djillali Hacid, analyste technique chez XTB France. Des propos confirmés par les médias officiels égyptiens qui affirment ce lundi que le canal de Suez fonctionne "à pleine capacité". "Pour l'instant, l'impact de l'Egypte sur les cours n'est pas si énorme. Ce n'est qu'un prétexte des investisseurs pour accélérer une hausse qui s'opère depuis le mois d'août mais qui butait sur le seuil psychologique des 100 dollars", ajoute l'analyste d'XTB. Il faut également savoir que le volume des contrats de pétrole échangés à New York a atteint des niveaux record vendredi, au moment où les manifestations en Egypte commençaient à prendre de l'ampleur, a indiqué mardi dans un communiqué l'opérateur boursier CME. Le 28 janvier, 1'472'088 contrats de WTI (ou West Texas Intermediate) ont été échangés, soit 3,4% de plus que le précédent record atteint le 13 avril 2010, a précisé la Bourse de Chicago, propriétaire du New York Mercantile Exchange. Les volumes sur les options ont également atteint des proportions inédites. "Le WTI reste l'étalon le plus liquide et le plus transparent pour le pétrole brut sur les places financières mondiales actuellement", a déclaré Joe Raia, du CME Group, cité dans le communiqué. "Ces records sont indicatifs de la capacité du WTI à répondre correctement aux événements dans un monde changeant et aux facteurs de l'offre et de la demande, tout en fournissant une transparence critique au marché mondial de l'énergie", a-t-il ajouté. Ces derniers jours, le statut de standard de référence du WTI avait été questionné alors qu'un écart de prix inhabituel et record s'était créé avec les prix du Brent échangé à Londres.