«Mon père chevauchait un chameau, je conduis une voiture. Mon fils vole en jet. Son fils chevauchera un chameau». Proverbe saoudien Rituellement et pour la troisième fois dans son histoire, l'Opep se réunit au niveau des chefs d'Etat. Si le sommet de 1975 avait fait illusion -il s'était tenu à Alger- du fait du charisme des dirigeants de l'époque qui avaient, on s'en souvient, une hauteur de vue, il suffit de rappeler que c'était à l'initiative de Boumedienne que le roi Fayçal, le shah d'Iran et Saddam Hussein s'étaient réunis pour parler économie, pétrole et politique. Vingt-cinq ans plus tard, le Sommet de Caracas, sous l'impulsion d'un Chavez «tout feu tout flamme» avait promis -quarantième anniversaire oblige- une Opep new- look. Nous avions plaidé à l'époque pour une Opep tournée vers le savoir et qui ne se contenterait pas de compter les points et attendre les recommandations fermes de l'AIE pour ouvrir les vannes. Sept ans, c'est, une fois de plus, la désillusion. Les membres de l'Opep, en véritables rentiers, reconduisent le statu quo du fait d'une Arabie Saoudite déterminée à ne pas irriter les Etats-Unis. Pourquoi cette réunion des chefs d'Etat sur lesquels sont braqués d'une façon méprisante toutes les caméras qui donnent en pâture à leurs opinions les images de ces monarques «gros et gras car bien nourris», ce luxe tapageur mis en exergue et en relation avec leur situation de pénurie d'essence et d'envolée des prix. Officiellement et pour être dans l'air du temps, l'Opep «partage les craintes de la communauté internationale face aux changements climatiques, défi à long terme». De son côté, le secrétaire général de l'Opep, Abdoullah al Badri, a déclaré que l'Opep comptait bien jouer son rôle dans le développement de technologies de capture et de stockage du carbone, afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre qui réchauffent le climat. Le projet de communiqué final ne mentionne toutefois pas la contribution des pays de l'Opep à un fonds pour l'environnement, idée qui avait été évoquée dans certains milieux à l'approche du sommet, Dans le communiqué du sommet, l'Opep n'a fait aucune allusion à la baisse. Le Venezuela et l'Iran avaient proposé de mettre en valeur l'effet négatif de la baisse du dollar sur la conjoncture économique des pays producteurs. L'Arabie saoudite s'est opposée à une telle proposition, vendredi. Selon Riyad, la simple mention du phénomène risquerait de l'exacerber. Le dollar et le baril Pour le ministre algérien de l'Energie et des Mines, le Dr Chakib Khelil, la flambée des prix persistera jusqu'au deuxième trimestre de l'année 2008 où ils pourront enregistrer une baisse. Il a tenu à mettre en relief l'idée que l'Opep a toujours assuré une offre suffisante de pétrole. «Elle a toujours été là, même pendant les périodes les plus difficiles, notamment en 2003 lorsque la production a considérablement baissé avec la disparition de la production d'un de ses membres». L'offre est essentielle pour stabiliser les prix. Sur le plan politique, cette réunion ne se déroule pas sous de meilleurs auspices. Qu'on en juge! Malgré le rapport objectivement et globalement favorable de l'Aiea, les Etats-Unis ne veulent rien entendre, la rhétorique de la guerre est toujours d'actualité et même la France, d'ordinaire si pondérée, ne voit dans le rapport que les «zones d'ombre». Pour Hugo Chavez qui vend tout de même la moitié de sa production aux Etats-Unis, soit 1,6 million de barils/jour, «si les Etats-Unis étaient assez fous pour s'attaquer à l'Iran ou agresser à nouveau le Venezuela, le prix du pétrole pourrait atteindre 150 dollars et même 200 dollars», a-t-il déclaré au cours de son intervention à l'ouverture du sommet. «Le pétrole est la source de toutes les agressions» dans le monde, a encore affirmé le président vénézuélien. S'exprimant sitôt après le président Chavez, le roi Abdallah d'Arabie Saoudite a estimé, pour sa part, que le pétrole ne devait «pas se transformer en outil de conflit». Selon lui, l'Opep a «deux objectifs principaux: la protection des pays membres et de l'économie mondiale» et s'oppose aux «perturbations inopinées des prix du pétrole». Le souverain saoudien a également annoncé la création d'un fonds doté de 300 millions de dollars pour la protection de l'environnement, financé par l'Arabie Saoudite. Dans ce sommet, les sujets qui risquent de fâcher le monde industrialisé et surtout les Etats-Unis, n'ont pas été abordés. Ainsi, la détérioration du dollar n'est pas du tout mise en relation avec le prix du pétrole. L'affaiblissement du dollar, devise dans laquelle se font les transactions pétrolières, inquiète le plus les membres de l'OPEP. «Quand le dollar baisse, le prix du baril augmente chaque fois pour rattraper cette baisse», explique le ministre algérien de l'Energie le Dr Chakib Khelil. A titre d'exemple, l'Europe compense sa facture pétrolière par un euro de plus en plus fort et quoi qu'on dise, en dollars constants, nous n'avons pas encore atteint le prix de 1982, soit près de 103 dollars actuels. Les termes de l'échange sont de plus erratiques, mais là personne n'en parle. L'or qui a pris plus de 100 dollars en quelques mois, à 860$ l'once pas plus que les matières premières, ne sont mentionnés comme arguments de «rattrapage des coûts et de la parité». Alors, c'est le sauve-qui-peut dans les pays rentiers de l'Opep. Les pays du Golfe achètent à l'étranger à tour de bras tout ce qui est à vendre et qui leur est permis (hôtels, actions, investissement dans les fonds de pension américains...) D'autres, comme l'Iran, suivent la voie de Saddam Hussein. Ainsi, le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, avait répété avant de s'envoler pour Riyad, que la faiblesse du dollar «affectait les pays producteurs». Depuis le début de l'année, l'Iran ne vend plus son pétrole en dollars mais en euros. Le basculement serait maintenant achevé quasiment à 100%. Par cela, les Iraniens ripostent aux sanctions financières des Etats-Unis et, d'autre part, augmentent leurs revenus du pétrole. Souvenons-nous: l'Irak sous Saddam Hussein avait commencé un processus similaire, interrompu par la chute du régime en 2003 après la guerre lancée contre lui par les Américains. Le président vénézuélien, Hugo Chavez, qui ne cesse de dénoncer l'hégémonie américaine, s'intéresse de très près à l'initiative iranienne. L'Algérie, comme nous l'avons rapporté dans un précédent article, aurait eu un manque à gagner, du fait de la détérioration du dollar, de plusieurs milliards de dollars. Il faut rappeler que l'Algérie vend en dollars mais achète en euros! Ce sommet, comme les précédents, va se terminer sur des voeux pieux. Pour sacrifier à l'air du temps, on nous informe que les ministres de l'Opep ont abordé le thème de «l'avenir du pétrole dans le processus global de l'énergie». Les intervenants ont mis en relief des aspects tels que ´´les incertitudes permanentes et l'instabilité des prix du marché pétrolier; la nécessité d'assurer la stabilité dans le processus de production et de consommation sur le marché, ainsi que la défense de l'environnement, en tant que questions méritant une attention spéciale de tous les pays. «L'Opep et l'économie Globale», dans le contexte de la globalisation; «L'avenir du pétrole dans le processus global de l'énergie»; les «Marchés de pétrole et du gaz dans les actuelles conditions et les futures recherches», «L'énergie et l'environnement- Défis et opportunités», ont fait également partie des questions du sommet. Par la bouche du ministre algérien l'Opep donne une réponse classique: «Il y a assez de pétrole sur le marché, d'autant qu'on assiste à un fléchissement de la demande», explique au Monde le ministre algérien de l'Energie et des Mines, Chakib Khelil. Il juge peu probable que le baril crève rapidement le plafond des 100 dollars, même s'il ne voit pas de recul des cours avant le 2e trimestre 2008. Il estime donc peu probable que l'Opep décide d'augmenter sa production le 5 décembre, lors de sa réunion à Abu Dhabi. Il rappelle, à juste titre, que la hausse de production de 500.000 barils par jour au 1er novembre n'a eu aucun effet sur les cours. «A quoi sert de pomper plus si personne n'est là pour acheter?», dit-il, soulignant «le manque de capacité de raffinage» dans les pays industrialisés. Il rappelle aussi l'insuffisante production des pays non-Opep (Russie, Norvège, Mexique...), qui «ne mettent pas de nouveaux gisements en exploitation», les tensions géopolitiques en Iran et au Kurdistan irakien, les raids contre les installations pétrolières au Nigéria. «Les spéculateurs tiennent compte de tout cela. Ils se ruent sur le pétrole puis se désengagent rapidement. Je crois qu'il faut réguler les marchés financiers», plaide-t-il. «Il faut se demander à qui profite un baril à 100 dollars», explique Ali Ahani, l'ambassadeur d'Iran en France. Il dénonce la baisse de la devise américaine qui permet de réduire le déficit commercial des Etats-Unis, et l'intervention des spéculateurs. Deux phénomènes sans lesquels «le baril serait autour de 55 dollars, son prix naturel». Au lieu d'appeler à une modération dans la consommation et à la lutte contre la spéculation, l'Opep continue à être sur la défensive, pourtant, comme l'écrit Jacques Chirac à propos des changements climatiques, «la maison brûle et on regarde ailleurs». Deux semaines avant la Conférence de Bali (Indonésie), qui lancera les travaux pour un nouveau protocole de Kyoto (après 2012), l'Opep dit qu'elle se préoccupe du réchauffement climatique. Les travaux préparatoires du Sommet de Riyad ont planché sur une aide à la recherche sur la capture et le stockage du CO2, Cependant, le problème des changements climatiques n'a pas été sérieusement abordé. La dernière réunion du Groupe intergouvernemental pour l'etude des changements climatiques (Giecc.) du 16 novembre 2007 craint que les changements ne soient irréversibles si rien n'est fait rapidement. De plus, une publication datée du 7 novembre pointe du doigt la Chine et l'Inde rendues responsables de la débâcle annoncée. Pourquoi alors, encore une fois, l'Opep reste-t-elle sur la défensive confortant l'idée que nous avons affaire à des potentats sans cap et qu'il suffit de froncer les sourcils comme l'a fait le secrétaire d'Etat à l'Energie qui demande à l'Opep d'ouvrir les vannes et d'inonder le marché faisant ainsi fi de tout ce que les études du Giecc de Nicholas Stern ont montré comme danger si on continue sur cette lancée de consommation débridée d'énergie fossiles. A quoi sert ce cartel? En fait, l'AIE qui dicte la norme, notamment à l'Opep, prévoit qu'à 2030 les énergies fossiles seront responsables de 85% du bilan énergétique. Sur les 116 millions de barils, les pays en développement représenteront 47% du marché énergétique mondial en 2015 et plus de la moitié en 2030, contre 41% seulement aujourd'hui. Les ressources pétrolières mondiales sont jugées suffisantes pour faire face à la croissance prévue de la demande d'ici à 2030, avec une production qui se concentre davantage dans les pays de l'Opep en supposant que les investissements nécessaires seront consentis. La production totale de pétrole brut des pays de l'Opep devrait, selon les projections du scénario de référence, fortement progresser de 36 Mb/j en 2006 à 46 Mb/j en 2015 et à 61 Mb/j en 2030. Il s'ensuit que la part des pays de l'Opep dans les approvisionnements pétroliers mondiaux s'accroît notoirement pour atteindre 52% à la fin de la période de prévision, contre 42% à l'heure actuelle. A quoi sert l'Opep puisque sa politique est dictée ailleurs? En fait, la seule réponse logique est qu'elle sert les intérêts des pays industrialisés pour le compte desquels elle discipline les producteurs de pétrole. Car, comment comprendre qu'avec la mondialisation, elle n'ait pas disparu. Elle est devenue au fil du temps un organisme qui donne l'illusion d'indépendance alors que la musique est écrite ailleurs. Nous aurions pensé que l'Opep se pencherait sur le sort de PVD qui ne peuvent payer le pétrole actuel et qui sont perdants aussi sur les matières premières. Nous aurions pensé qu'elle décide de moraliser la production de pétrole donnant l'exemple du souci des changements climatiques dans les faits. Cette initiative sera d'autant plus bien vue qu'en calmant la spéculation, elle contribuera, d'une part, à découpler la croissance énergétique de la croissance et que, de plus, elle ne compromettra pas la part des réserves énergétiques des générations futures, notamment en Algérie en comprenant, une bonne fois pour toutes, que la meilleure banque du pays, c'est encore son sous-sol. Mais ceci est, on l'aura compris, un autre débat qu'il faut bien un jour ouvrir avant qu'il ne soit trop tard.