Refinancer quelque 90 milliards d'euros de dette à long terme d'ici avril semble à présent un objectif à portée de main de l'Italie, alors même que son lourd endettement semblait devoir jusqu'ici aggraver la crise de la zone euro. Malgré les déclassements en rafale dans la zone euro par Standard & Poor's ce mois-ci, l'Espagne a pu émettre de la dette, jeudi, tout en suscitant une demande plus soutenue que prévu et en s'appuyant en particulier sur l'argent peu cher injecté massivement par la Banque centrale européenne. Le même cas de figure pourrait s'appliquer à l'Italie, troisième puissance économique de la zone euro qui ploie sous un endettement public de 1.900 milliards d'euros. Le montant de dette que l'Italie doit refinancer de février à avril paraissait quasiment ingérable en novembre, lorsque l'investisseur fuyait le papier italien, obligeant Rome à payer près de 8% pour se refinancer à trois ans. Mais depuis lors, la situation s'est améliorée, les banques italiennes, richement dotées en fonds BCE à bon compte, ayant fait baisser les rendements en se portant acquéreuses généreusement de papier national. "Je suis persuadée que l'Italie peut y arriver et y arrivera", dit Chiara Manenti, analyste d'Intesa Sanpaolo. "Les dernières adjudications nous disent que les tensions se sont un peu apaisées. Si l'on regarde plus avant, le retour d'une demande nette également sur les échéances à moyen et long termes et l'arrêt des désinvestissements de l'étranger sont primordiaux pour l'Italie", ajoute-t-elle. Protéger l'exposition existante L'Italie a dangereusement flirté avec le défaut de paiement en fin d'année et s'est employée depuis à regagner la confiance des marchés sous la houlette d'un gouvernement de techniciens emmené par l'ancien commissaire européen Mario Monti. Rome peut compter sur le soutien de la BCE, à la fois par ses injections massives de liquidités et par son programme de rachat d'obligations. Lorsque la BCE a lancé sa première opération de refinancement à trois ans, le 21 décembre dernier, les banques italiennes ont récupéré 116 milliards d'euros, près d'un quart du total. Les financements à bas coût de la BCE ont alimenté la demande de papier court italien et espagnol lors de dernières adjudications, observent les analystes, un mouvement que Rome entend bien exploiter. Dans la mesure où la BCE doit injecter encore du cash en masse en février, les investisseurs italiens auraient suffisamment de fonds pour combler un éventuel désintérêt étranger lors des adjudications. "Il est probable que les investisseurs locaux continueront de participer et de fait sont encouragés à le faire, ne serait-ce que pour protéger leur exposition existante", écrivaient les analystes de Citigroup la semaine dernière. Les investisseurs italiens détenaient 54% des 1.600 milliards d'euros d'emprunts du pays en juin, indiquait la Banque d'Italie. Les analystes pensent que cette proportion a pu augmenter à 60%. Afin de mieux cibler la demande intérieure, l'Italie émettra également directement à destination des petits investisseurs au premier trimestre 2012, par le biais des plateformes électroniques. Maria Cannata, chargée de la gestion de la dette auprès du Trésor, expliquait toutefois mardi qu'un accroissement de la participation locale aux émissions de dette était appréciable mais ajoutait que la dette italienne était trop importante pour reposer presque exclusivement sur des souscripteurs locaux. Réduire la durée de vie de la dette Si les investisseurs italiens représentent la principale clientèle de la dette à court terme, la dette à long terme de l'Italie doit également trouver preneur à l'étranger. Contrairement aux taux courts, les taux de rendement longs n'ont que peu régressé. A 6,40% environ, le taux de rendement à 10 ans est supérieur de deux points à celui du trois ans et n'est guère éloigné des 7% qui ont poussé d'autres pays à solliciter une aide sous forme de renflouement. "C'est sur les 10 ans que la bataille de l'accès au marché sera sans doute gagnée ou perdue, d'où l'importance particulière des adjudications de BTP (obligations) de fin de mois", ajoutent les analystes de Citigroup. L'Italie doit placer des BTP à 5 et 10 ans le 30 janvier, avec date de réglement au 1er février, lorsque près de 26 milliards d'euros de BTP et une dizaine de milliards d'euros de coupons arriveront à échéance. Une fois passées les échéances de la période février-avril, laquelle représente 45% des maturités à moyen et long termes de 2012, l'Italie n'aura pas grand-chose à rembourser en mai et en juin. Maria Cannata a dit que le Trésor accroitrait sans doute ses émissions de bons, de billets de trésorerie et d'obligations n'excédant pas trois ans au premier semestre. Toutefois, réduire sensiblement la durée de vie moyenne de la dette italienne - sept ans actuellement - n'est pas sans risque. S&P a prévenu la semaine dernière que cela saperait un point fort important de la qualité de la signature italienne et le Trésor est bien conscient du danger. "Dès le second semestre de cette année, il nous faudra forcément renouer avec une distribution plus uniforme des rendements pour s'assurer que le rétrécissement de la durée de vie moyenne de la dette reste limité", a observé Cannata. Le gouvernement italien adopte un décret de libéralisation Le gouvernement italien de Mario Monti a adopté, avant-hier, après huit heures de réunion, un décret de libéralisation de certaines professions pour accroître la concurrence et relancer l'économie. Les mesures sont d'ores et déjà effectives mais doivent être approuvées par le Parlement dans les 60 jours, faute de quoi elles seront abrogées. "Nul doute qu'il y aura de nombreux commentaires sur ces mesures, les uns positifs, les autres, plus nombreux, négatifs parce que certains préfèrent le statu quo plutôt que de relever de nouveaux défis", a déclaré le chef du gouvernement à l'issue de la réunion. Ce décret est nécessaire sinon "nous ne pourrons pas trouver un nouveau rythme de croissance", a ajouté l'ancien commissaire européen, soulignant que les nouvelles mesures vont permettre d'introduire "plus de concurrence, de réduire les rentes et de reconnaître le mérite". Certaines catégories professionnelles visées par ce décret sont farouchement opposées à cette libéralisation, notamment les chauffeurs de taxi, les pharmaciens et les pompistes. Autre nouveauté, un assouplissement des règles pour les jeunes entrepreneurs italiens. "Une nouvelle forme d'entreprise est créée pour les jeunes de moins de 35 ans, la société simplifiée à responsabilité limitée: il suffira de verser un euro dans le capital et il n'y aura plus besoin d'aller chez un notaire", a indiqué le sous-secrétaire de la présidence du Conseil, Antoni Catricalà. Le décret va permettre d'ouvrir 5.000 nouvelles pharmacies, alors qu'il en existe 18.000 dans la péninsule, a indiqué le ministre de la Santé Renato Balduzzi lors d'une conférence de presse au palais Chigi. Cinq cents postes de notaires vont également être créés. "Peut-être que libéraliser le secteur des taxis et des pharmacies n'aura pas un grand impact sur la croissance mais ne pas le faire aurait donné l'impression que Monti n'est même pas capable de libéraliser le marché sur ces deux fronts", a dit Alberto Mingardi, directeur de l'institut Bruno Leoni. "Le monde veut voir si une nouvelle Italie est possible ou si le pays reste bloqué (...) par des intérêts particuliers", a estimé Daniel Gros, directeur du centre d'études politiques européennes de Bruxelles. Par ailleurs, le président du Conseil s'est félicité de la récente diminution des coûts d'emprunt de l'Italie et a jugé que l'action de son gouvernement commençait à être bien perçue à l'étranger. "Nous avons vu une baisse agréable ces derniers jours du 'spread', et j'espère que cela continuera mais je ne veux pas faire de prévisions (...)", a déclaré Monti, qui a succédé à Silvio Berlusconi à la tête du gouvernement en novembre. La semaine prochaine, le gouvernement devrait annoncer une réforme destinée à simplifier les procédures administratives.