Le Soudan du Sud joue gros dans le bras de fer engagé avec le Soudan pour le partage de la manne pétrolière: la stabilité et la viabilité du jeune pays est dans la balance, estiment des analystes. Accusant Khartoum de lui voler une partie de son brut, Juba n'a décidé, le mois dernier, rien de moins que de stopper sa propre production. Le pétrole assure pourtant 98% des revenus du pays né de sa sécession du Soudan en juillet. L'argent du pétrole est notamment essentiel pour payer les forces de sécurité du Sud, des ex-rebelles au nombre estimé à quelque 200 000. La réelle question de la survie est celle du contrôle du SPLA, l'armée sud-soudanaise, estime Egbert Wesselink, directeur de la Coalition européenne pour le pétrole au Soudan, une fédération d'organisations militant pour la paix. En plus du conflit pétrolier avec le Nord, le Soudan du Sud est confronté à une multitude de crises, notamment une explosion de violences interethniques, des mouvements rebelles qu'il accuse Khartoum d'entretenir. Mais moins Juba fera d'argent, moins elle pourra contrôler la révolte, qu'elle soit ou non financée par Khartoum, poursuit M. Wesselink. A l'indépendance, le Sud a hérité des trois quarts de la production pétrolière de l'ancien Soudan, soit environ 350 000 barils/jour. Mais le jeune pays est contraint d'utiliser les infrastructures du Nord pour exporter. Les négociations sur le partage de la manne pétrolière, compliquées par une dispute territoriale autour d'une province frontalière grande comme le Liban, Abyei, butent sur les frais de passage que le Soudan réclame sur le brut exporté. Faute d'accord, Khartoum a pour l'instant décidé de se payer en nature, et a admis avoir détourné au moins 1,7 million de barils, à la fureur de Juba. La tension est ces derniers jours tellement montée que les deux parties, qui se sont livré des décennies de guerre civile dans le passé, mettent toutes deux en garde contre un risque de nouveau conflit. Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, juge la situation critique pour la sécurité de toute la région. Les cartes kényane et éthiopienne Pour certains, la décision de Juba de fermer les vannes du pétrole relève de l'opération suicide. Mais Pagan Amum, négociateur en chef pour le Soudan du Sud, balaie les critiques d'un revers de main. Nous allons les surprendre (...) l'Histoire nous en sera témoin, dit-il. Le Soudan du Sud cherche d'ailleurs d'autres voies de sortie pour son brut: ces dernières semaines, Juba a signé des accords avec Nairobi et Addis Abeba pour la construction d'oléoducs qui permettraient d'expédier le pétrole via le port kényan de Lamu, ou via Djibouti en passant par l'Ethiopie. Mais la réalisation de ces projets, jugés par l'industrie très onéreux, pourrait prendre trois ans. Et pour certains, comme Luke Patey, de l'Institut danois pour les études internationales, ils relèvent de la folie financière. Economiquement, le meilleur scénario pour le Soudan du Sud est sans aucun doute d'arrêter ses projets chimériques, de trouver un accord avec le Soudan et de continuer à vendre son pétrole par le nord, résume-t-il dans une analyse. La semaine dernière, le président sud-soudanais Salva Kiir a annoncé des mesures d'austérité pour assurer la viabilité du Soudan du Sud. Le responsable a appelé la population de son pays, l'un des plus pauvres au monde déjà, à des sacrifices temporaires pour le bien de la nation. Mais pour la responsable de l'action humanitaire de l'ONU, Valerie Amos, le tableau est déjà bien noir et la situation extrêmement précaire. Si la production pétrolière est arrêtée, beaucoup en sentiront les effets, a-t-elle averti la semaine dernière, à l'occasion d'une visite dans des régions récemment frappées par les violences interethniques. Les besoins humanitaires vont inévitablement augmenter et les efforts conjoints du gouvernement et de la communauté des bailleurs de fonds ne seront pas suffisants, a-t-elle mis en garde.