Par OULD EL HOCINE Mohamed Cherif Le 29e Bataillon de tirailleurs algériens (B.T.A.) avait son quartier à fontaine-du-Génie (actuellement Hadjrat Ennous (Cherchell). Il était composé de 500 harkis et 350 soldats français et algériens. Pour tenter de nous surprendre dans cette région, le 29e B.T.A. avait entrepris de contourner les chaînes du Dahra, par le Zaccar (Miliana), plutôt que de venir comme d'habitude en suivant le littoral par la route de Sidi Semiane ou par l'une des deux routes qui longent l'oued Messelmoune et l'oued Sebt (Cherchell), cherchant par là à éviter de se faire repérer par nos agents de renseignements parmi la population algérienne civile, qui nous auraient immanquablement alertés. Mais nous fûmes tout de même informés de la présence des soldats du 29e B.T.A. dans la région par les habitants qui les avaient vus arriver en provenance de Miliana. Et ce fut ainsi que Si Moussa Kellouaz, le chef du Commando Si Zoubir, avait décidé que nous devions aller nous porter à leur rencontre, sans plus tarder, tout en nous recommandant de faire montre d'une grande prudence pour éviter d'être repérés par les avions espions de l'ennemi qui survolaient sans arrêt la région. Il était deux heures de l'après-midi, et nous devions faire vite afin de pouvoir situer et étudier avec précision les positions du 29e B.T.A., puis choisir le meilleur emplacement stratégique possible pour notre commando, tout cela devant se faire avant l'arrivée du crépuscule. Après une longue escalade, notre commando se trouvait sur le point d'atteindre le sommet de la montagne, croyant que l'ennemi arriverait de l'autre côté ; au moment où notre premier groupe s'apprêtait à aller prendre position sur la crête, nous entendîmes soudain des coups de feu. C'était l'ennemi qui tirait sur nos compagnons. La crête était déjà occupée par un groupe de voltigeurs français qui nous mitraillaient sans retenue. Tête baissée et traînant les corps sans vie de Si Slimane et Si Mahfoud, qui avaient été fauchés par les premières rafales de l'ennemi, les membres du premier groupe reculaient précipitamment dans notre direction pour se mettre à l'abri. C'était comme si la foudre s'était abattue sur nous. Il était heureux que l'avancée de notre commando n'ait pas eu lieu frontalement, ce qui nous aurait coûté des pertes en vies humaines beaucoup plus importantes que celles que nous venions d'essuyer. De fait, les chouhada Si Slimane et Si Mahfoud se trouvaient en tête de groupe, ouvrant la marche à leurs autres compagnons. Les tirs de l'ennemi ayant cependant permis à Si Moussa d'évaluer grosso modo le nombre de soldats, ce dernier ordonnera à un groupe de moudjahidine de longer le flanc droit de la crête, tandis qu'un second groupe empruntera le côté gauche de manière à pouvoir prendre de revers les voltigeurs. En quelques minutes, nous avons réussi à conquérir la crête de force, obligeant les voltigeurs du 29e B.T.A. à reculer du côté d'où montaient vers eux les cris des autres soldats français. Des hauteurs vertigineuses où nous nous trouvions, nous pouvions dominer la vallée du Cheliff, ainsi que toute la bande côtière et la ville de Cherchell que nous apercevions dans le lointain. La crête de cette montagne étant longue d'une centaine de mètres et large de 3 à 4 mètres, Si Moussa avait commencé à y répartir les éléments de trois groupes du commando, pour réserver un accueil cinglant aux soldats du 29e B.T.A., qui avançaient vers nous, croyant ne faire de nous qu'une seule bouchée. Le groupe de Si Arezki prit position en haut de la crête sur une plate-forme avancée. Le groupe de Si Youcef, qui disposait d'un fusil-mitrailleur FM. Bar, se postera pour sa part sur le côté droit du groupe de Si Arezki, tandis que celui commandé par Si Larbi (qui était doté un fusil-mitrailleur) prendra place sur le flanc gauche du groupe de Si Arezki. Nous étions dans une très bonne position sur cette crête, dont l'occupation nous a coûté fort cher, à savoir la vie de Si Slimane et de Si Mahfoud, ces valeureux moudjahidine, que nous avons eu le temps d'enterrer dans un lieu discret avant d'engager le combat avec le 29e B.T.A., dont les effectifs consistaient en 850 hommes ayant tous fait la guerre d'Indochine, avec une majorité d'Algériens. Nous n'étions que trente-cinq moudjahidine déterminés à les attendre avec courage et de pied ferme, pour en découdre avec eux. Nous étions farouchement résolus à défendre notre position et à nous battre avec la dernière énergie, comme nous l'avions déjà fait lors de la bataille de Sidi Mohand Aklouche, le 26 avril 1957. Il était quatre heures de l'après-midi, et Si Moussa nous avait ordonné d'attendre son signal pour ouvrir le feu, afin de laisser approcher l'ennemi, qui se trouverait à bonne portée de nos armes. C'était une franche aubaine pour nous que le commandant du bataillon n'ait pas jugé utile d'alerter l'aviation. Affligé d'un orgueil démesuré, cet officier désirait surtout se venger de la défaite humiliante que nous lui avions infligée lors de la bataille de Sidi Mohand Aklouche. Suite au rapport des voltigeurs, il s'était ainsi persuadé que nous avions pris la fuite. Mais il commettait là une lourde erreur de jugement, sous-estimant l'indomptable volonté combative qui nous animait, malgré la supériorité numérique de notre adversaire. Le signal de Si Moussa fut donné en lançant un Allâhou Akhbar gigantesque, dont l'écho retentit longuement à travers la montagne. Cela fut une agréable délivrance pour nos nerfs trop longtemps tendus et crispés. L'ennemi ne s'attendait pas à l'accueil que nous lui avions réservé en nous mettant à tirer sur lui tous à la fois et avec la même ardeur. Nos deux mitrailleuses firent des ravages indescriptibles dans ses rangs, et nous pûmes assister au spectacle offert par des soldats en débandade qui fuyaient sans demander leur reste, abandonnant sur place leurs morts et blessés. Quelle désagréable surprise pour ce brave commandant Gaudoin...! Cependant, les premiers instants de surprise passés, les soldats du 29e B.T.A., toujours en formation de combat, s'en revenaient à la charge, tirant et utilisant toutes leurs ressources meurtrières de leurs armes, sans cependant parvenir à nous atteindre. L'ennemi occupait une position beaucoup moins élevée que la nôtre, et nous étions particulièrement satisfaits de la position stratégique de nos trois groupes, qui nous semblait plus fiable. L'accrochage faisait rage, nous repoussions les soldats à chaque tentative d'assaut qu'ils entreprenaient contre nous. Après avoir reculé en laissant leurs morts et blessés, les voilà derechef repartis pour un nouvel assaut, cherchant coûte que coûte à reprendre la crête. L'affrontement était sans merci. Après deux heures de combat, nos munitions commençant à s'épuiser, nous devions de faire très attention, ne tirer qu'avec la plus grande précision afin de faire mouche à tous les coups, en tâchant toujours de mettre à profit l'avantage que nous offrait notre position. L'ennemi avançait toujours. Je me trouvais dans le groupe de Si Arezki, juste à l'avant, tirant avec ma mitraillette, en me retournant de temps en temps pour suivre un peu l'action de Si Maâmar et Si Benaïcha, nos deux tireurs de FM Bar. Ces deux-là se dressaient parfois et tiraient debout. Notre groupe jouissait également d'une position très avantageuse, et nous étions tous très heureux de combattre côte à côte ces mêmes soldats qui nous avaient causé la plus pénible des afflictions en tuant deux de nos frères combattants. Si Moussa dirigeait le combat à partir du sommet de la crête. Il descendit vers nous et nous dit : " Tirez vers le côté gauche, ne tirez pas tout droit. " Subitement, le voilà qui, sans crier gare, descend tout seul vers l'ennemi, pour revenir vers nous, quelques minutes après, poussant du bout du canon de sa carabine US un soldat français qu'il avait capturé. Le prisonnier avançait mains en l'air. Si Moussa avait presque toujours fait montre des plus étonnantes ressources dans chaque combat ! Cette fois-là, il s'était vraiment surpassé, en réussissant l'incroyable prouesse de pénétrer au milieu de l'ennemi pour aller ramener un captif, de la même façon qu'il s'empara d'un sergent-chef martiniquais, lors de l'accrochage avec le commando noir à Tamesguida. De retour parmi nous, Si Moussa nous dit: "Tenez bon mes frères, il faut continuer à résister à ces salauds. À mon signal, vous vous replierez rapidement." puis il poursuivit sa remontée, poussant devant lui le prisonnier et tenant dans l'autre main son fusil MAS56. Après trois heures de combat, la nuit avait commencé à tomber, mais les soldats n'en démordaient pas et continuaient d'avancer vers nous, malgré les lourdes pertes que nous leur avions causées et l'avantage que nous procurait notre position sur la crête. Nous entendions un soldat appeler : "Mon commandant ! mon commandant !", afin de signaler quelque chose, ou le commandant aboyant ses ordres à la troupe : "Avancez, avancez !" On aurait dit qu'ils étaient tous drogués. Nous entendions leurs cris de douleur, mais ils avançaient toujours sur nous, qui nous trouvions dans le groupe avancé de Si Arezki, comme s'ils s'apprêtaient à faire l'assaut sur nous. Heureusement que nous étions au-dessus d'eux, tout à fait hors de leur portée sur les hauteurs, séparés d'eux par un écran protecteur de quelque quarante ou cinquante mètres de profondeur que formaient quelques arbres. Quand nous parvint enfin le signal de Si Moussa, Si Arezki, Si Braham Brakni, Si Tayeb, Si Bayou, les six autres compagnons et moi-même, armés de 5 mitraillettes MAT 49, de 6 fusils Garant, un genou appuyé à terre, tenions toujours tête à cette horde hurlante de soldats qui avançaient irrésistiblement vers nous en mitraillant sans discontinuer. Si Arezki, notre chef de groupe, nous avait ordonné de leur balancer quelques grenades pour tenter de stopper ou ralentir leur progression. Mais rien n'y fit. Les grenades explosaient au milieu de ces zombies, en tuant certains et en blessant d'autres, certes, semant trouble et agitation dans les rangs, mais ne parvenaient pas à stopper l'avancée de ces forcenés... Je me rappelle que je m'étais dit : "Voilà arrivée notre heure, nous allons mourir !" Le commandant du 29e B.T.A. continuait de hurler ses ordres aux soldats : "Avancez, avancez !" Je me suis alors levé et j'ai crié à deux reprises: "Ya Si Maamar, ya Si Maamar !" sans toutefois arrêter de tirer avec ma mitraillette. Comme Si Tayeb Benmira (Si "l'Istiklal" !), je voulais mourir en martyr. Mes compagnons et moi, criions : Allâhou Akbar, pour tenter d'impressionner l'ennemi, qui avançait malgré les pertes humaines dans ses rangs. Si Maamar ayant entendu mes appels, avait tout de suite braqué sa mitrailleuse et s'était mis à tirer juste devant nous, pour nous ouvrir un passage. Tout de suite après le signal, quelques prestes enjambées nous suffirent pour nous retrouver au sommet de la crête avec les deux autres groupes du commando, tout heureux d'avoir livré ce grand combat. Nous étions tous présents, ayant pu ainsi quitter le champ de bataille fiers et la tête haute. Parfaitement victorieux, par la grâce de Dieu, en qui nous avions eu totalement foi et confiance, regrettant seulement de devoir laisser derrière nous nos deux chouhada : Si Slimane et Si Mahfoud, morts en héros pour que vive la patrie algérienne. Quand l'ennemi parvint enfin à atteindre la crête, nous nous trouvions hors de portée de ses tirs et la nuit était déjà tombée. Les soldats s'étaient mis à lancer des fusées éclairantes pour essayer de nous repérer. Mais nous avions déjà quelque 700 ou 800 mètres d'avance. Nous avancions en file indienne, poussant devant nous notre prisonnier, lequel s'avérera être un des pieds noirs d'Oran, qui était l'interprète d'arabe du 29e B.T.A. Nous avions poursuivi notre marche sans observer de halte, malgré l'immense fatigue et la faim que nous éprouvions. Car nous n'ignorions pas que le lendemain, dès les premières lueurs du jour, l'ennemi allait lancer une vaste opération de ratissage pour nous retrouver. Nous devions donc nous efforcer de quitter au plus vite la zone d'action opérationnelle où les officiers de l'état-major ennemi, en tenant compte de nos capacités de marche et de la topographie des lieux, devaient théoriquement circonscrire les recherches. S'ils parvenaient à bien nous situer et à nous accrocher, comme cela arriva quelquefois, nous serions obligés de livrer combat, ce qui serait bien sûr à notre désavantage. Vers 5 heures du matin, nous sommes entrés dans une forêt pour nous y reposer. Après plus de 4 heures de combat et 9 heures de marche sans arrêt, nous étions complètement épuisés. Je me rappelle qu'en traversant un oued, nous avions marqué une légère pause, le temps de nous assurer que nous pouvions le faire sans danger. Assis immobile au milieu de l'oued, je n'ai pas pu m'empêcher de m'assoupir pendant quelques brefs instants. Ce repos impromptu procura un bien indicible à mes membres exténués et tout endoloris ! Après cela, toujours cachés dans la forêt, nous avions assisté vers les coups de 8 à 9 heures du matin au grand ballet aérien endiablé d'hélicoptères de toute sorte - "libellules", Sikorsky, "bananes"... - qui venaient emporter les morts et évacuer les blessés de la bataille de la veille. Nous entendions également le vrombissement des avions Jaguar T6 Morane qui s'étaient mis à survoler la région en lançant leurs roquettes meurtrières sur les collines environnantes, sur les forêts et sur la moindre branche d'arbre suspecte... Nous nous félicitions d'avoir redoublé d'efforts pour nous empresser de venir nous réfugier dans cette forêt, où nous nous trouvions bien à l'abri des bombardements aériens. Les hélicoptères s'employèrent toute la journée à aller charger leur cargaison de morts et de blessés sur le théâtre de la bataille pour aller la déverser ensuite dans les hôpitaux de Blida et de Miliana. Des avions mouchards piper-cub s'étaient mis à passer au dessus de nous, survolant la forêt à la recherche de nos traces, mais c'était peine perdue, car nous étions très bien camouflés. Comme il était déjà trois heures de l'après-midi, l'état-major ennemi ne pouvait pas se permettre de prolonger l'opération de ratissage. Mais si, par malheur, les avions mouchards Piper-cub avaient pu repérer notre position, ils auraient immédiatement ordonné à leur artillerie (qui disposait de pièces de canons 105), et aux avions bombardiers B26 et B29, ainsi qu'aux chasseurs T6 de se porter sur nous et de nous noyer sous un déluge de feu et d'acier auquel nous n'aurions pas pu survivre... En fin d'après-midi, l'ennemi étant reparti vers ses bases, nous sommes sortis de la forêt pour nous diriger vers un douar dont les habitants nous firent un magnifique accueil qui nous mit du baume au cœur et nous fit quelque peu oublier nos fatigues, nos peines et nos chagrins. Ces pauvres et simples montagnards n'ignoraient pas que c'était notre commando - le commando Si Zoubir -qui, la veille même, et à quelques kilomètres de là seulement, avait bataillé avec fougue et acharnement et sans lâcher pied contre le 29e B.T.A. Les refuges nous avaient été apprêtés, afin que nous puissions y prendre quelques heures de repos, après un bon repas, car nous n'avions pratiquement rien mangé depuis quarante-huit heures... Les habitants avaient tout de suite et sans la moindre hésitation possible reconnu et identifié notre prisonnier. Il s'agissait, nous apprirent-ils, d'une crapule de la pire espèce, qui, à l'occasion de chaque passage du B.T.A. dans le secteur, se distinguait en semant la terreur parmi la population, s'acharnant tout particulièrement sur les femmes auxquelles il faisait subir les plus odieux sévices avant de les délester de leurs bijoux. Nous avons donc livré ce lâche tortionnaire de femmes à ses victimes privilégiées pour qu'elles lui administent une bonne dérouillée, tout en leur recommandant de faire très attention de ne pas le tuer, car nous avions besoin de l'interroger. Le prisonnier était coupable de crimes et d'exactions graves à l'égard de civils désarmés, et les habitants l'avaient formellement identifié comme faisant partie des soldats qui avaient plusieurs fois attenté à leur honneur et à leur dignité. Comme il avait l'avantage de bien parler la langue arabe, c'était lui qui était chargé de les interroger pour leur demander où se cachaient les combattants de l'A.L.N. Ne pouvant obtenir les renseignements désirés, il se vengeait toujours en ordonnant de brûler les maisons des pauvres gens du douar, comme lors de la bataille de Sidi Semiane. Bien plus tard, nous l'avons arraché avec beaucoup de difficulté des mains vengeresses des femmes du douar qui voulaient le découper en pièces pour tout le mal que ce malfaisant individu leur avait fait endurer... Si Moussa avait commencé à interroger le prisonnier sans lui faire subir de torture. Quoi qu'on en ait dit sur ce chapitre et malgré toutes les difficultés, les combattants de l'A.L.N. avaient le respect des droits de l'homme et des conventions internationales. Pour ce qui était du cas de ce prisonnier, celui-ci sera condamné à mort et exécuté, non pas en tant que soldat fait prisonnier en situation de guerre, mais essentiellement en châtiment des nombreux crimes qu'il avait commis contre les populations civiles. Alors qu'il parlait et répondait aux questions précises de Si Moussa, je notais dans mon carnet les renseignements d'ordre divers qu'il nous donnait ainsi que toutes les informations spécifiques qu'il nous fournira au sujet du 29e B.T.A. Il nous communiqua également certains noms d'informateurs et de traîtres qui collaboraient avec son bataillon. Il ne pouvait ignorer qu'il allait être mis à mort, car les maquisards ne disposaient pas de prison. Le quidam étant juste assez bon pour s'attaquer à de faibles femmes sans défense n'avait pas assez d'importance pour valoir la peine d'être acheminé vers le Maroc ou la Tunisie. De plus, le risque était trop grand pour nous qu'en cours d'acheminement, il profite du trouble occasionné par une opération armée ou un ratissage pour tenter de s'évader ou de signaler sa présence aux soldats français en dévoilant la position des moudjahidine. C'était un risque que nous ne pouvions courir. Le sort du prisonnier étant scellé d'avance, Si Moussa désigna trois moudjahidine, dont Si Braham Brakni, pour accomplir la tâche pénible de son exécution rapide et sans cruauté inutile. À la guerre comme à la guerre. La justice coloniale française ne faisait pas de cadeaux à nos fidaïyine. Depuis Zabana et Ferradj, le couperet de la guillotine de la prison de Barberousse (Serkadji) et d'ailleurs fonctionnaient à plein régime, sans parler des innombrables liquidations extrajudiciaires, comme ce fut le cas de Mohamed-Larbi Ben M'hidi ou de Ali Boumendjel pitoyablement déguisées en suicides par la propagande des services psychologiques de l'armée française, jusqu'au jour où l'exécuteur en chef, le général Paul Aussaresses, alias autrefois commandant O., avoue ses crimes, dans un livre aussi ignoble que son auteur. Après l'exécution du prisonnier et la récupération de ses effets vestimentaires et de son arme, ses pataugas m'avaient été donné, car, tout comme moi, le supplicié chaussait du 45", une pointure particulièrement difficile à trouver, notamment au maquis ! (Soit dit en passant, Si Mahmoud Nemri, était dans une situation plus critique que la mienne, en cette matière de l'habillement, car il chaussait du 46" et devait la plupart du temps se contenter d'enfler une paire de bougharouss, ces chaussures paysannes très rudimentaires dont le cuir grossier était généralement taillé dans une peau de bœuf, et qui tenaient aux pieds au moyen d'une lanière ou d'une ficelle...) Si Braham Brakni héritera de sa tenue, car la sienne tombait littéralement en lambeaux. Si Moussa remettra le fusil MAS 56 du soldat français à une nouvelle recrue du commando, un moudjahid qui viendra compléter notre section, après la mort des valeureux martyrs, Si Slimane Takarli et Si Mahfoud. Ces derniers étaient natifs de la même ville, Foundouk (Khemis El Khechna), avaient le même âge, avaient tous les deux commencé leur carrière de moudjahid par des attentats dans leur propre ville, avant de prendre le maquis ensemble et le même jour... Les coïncidences ne s'arrêtaient pas là : tous deux ils firent partie du commando Si Zoubir, tous deux furent blessés au cours de la bataille de Tamesguida (22 mars 1957), avant de tomber morts au même instant, fauchés tout deux par la même rafale de mitrailleuse dans cette bataille sur les monts des Braz (Zaccar, Miliana)... N'était-ce pas la une bien curieuse communauté de destin ?! Ainsi, mal en prit au 29e B.T.A. de s'attaquer à notre commando, qui lui a infligé une cuisante défaite. Nous nous étions battus avec courage et détermination. Grâce à la virtuosité militaire incomparable de Si Moussa Kellouaz, notamment en matière de guérilla, les plans tactiques des officiers du 29e B.T.A. avaient été habilement contrecarrés et mis en échec. Si Moussa avait l'art d'impulser aux événements les plus inattendus une dynamique déroutante, toujours en défaveur de l'adversaire. Dieu nous avait accordé la victoire et ainsi le faible David algérien avait-il pu faire mordre la poussière au tout-puissant et présomptueux Goliath français !... Je ne peux m'avancer à affirmer quel fut avec précision le nombre de morts et de blessés que nous avons faits dans les rangs des soldats français. Selon notre prisonnier, après les deux premières heures de combat, on dénombrait déjà plus de 100 morts et 100 blessés. Par ailleurs, nous savons que le combat avait duré plus de 4 heures, et que les rangs ennemis ont certainement enregistré de plus lourdes pertes en s'acharnant à tout prix à conquérir la crête que nous tenions. Bilan de l'opération - Plus de 150 soldats français tués ; - Plus de 200 soldats français blessés ; - 1 soldat français capturé, jugé et exécuté (l'interprète du 29e B.T.A.) ; - 1 fusil MAS 56 récupéré. De notre côté, nous déplorions deux morts (Si Slimane et Si Mahfoud).