C'est une nouvelle qui a choqué tout le monde. A Alger depuis à peine quatre jours, pour des raisons de tournage d'un film qui lui tenait à cœur, Le mouton de Fort-Montluc, le cœur du cinéaste Mohamed Bouamari a lâché vendredi dernier, devant les yeux médusés de sa fille, Djazia. “Le cinéaste et son rejeton étaient dans leur appartement des Asphodèles, (Ben Aknoun) vendredi matin quand le réalisateur du Charbonnier” fut pris d'un malaise qui n'aura duré que quelques minutes, avant que l'âme de Mohamed soit rendue ” raconte la nièce de l'artiste à la corpulence et à la présence imposantes. Arrivé de Paris le 25 du mois dernier, le défunt s'était rendu, mardi dernier, dans un restaurant à La Madrague en compagnie de Boudjemaâ Karèche, l'ex-directeur de la Cinémathèque algérienne ainsi que d'autres amis avec lesquels il devait cordonner son chantier filmique qui a reçu de nombreuses subventions notamment du ministère de la Culture et de la Télévision algérienne. “ Il était en parfaite forme” raconte sa nièce qui avoue que son oncle “ était fatigué le jeudi”. Comme tous les artistes, Bouamari qui a traîné un diabète durant de longues années, était amateur de tables opulentes et conviviales. La nouvelle avait, dès jeudi matin, fait le tour d'Alger, et “ la ministre de la Culture avait fait des mains et des pieds afin que son épouse, la comédienne Fetouma et sa fille Moufifa qui étaient restées à Paris arrivent à temps pour assister à la cérémonie mortuaire ” raconte encore la nièce du défunt. Le hasard aura fait que cet exilé, en France depuis 12 années, soit mort, dans son chez-lui dans les bras de sa fille Djazia qui “ a juré d'effectuer coûte que coûte le tournage du film qui tenait à cœur son papa ”. Une cérémonie de recueillement a été organisée, hier au Palais de la culture Moufdi-Zakaria, où de nombreux artistes, amis et proches du défunt se sont rendus pour un ultime hommage. Visages livides, sa famille et ses proches étaient toujours sous le choc de cette disparition subite, d'un homme qui a tant milité pour un cinéma national et révolutionnaire, malgré les manques et les insuffisances financières auxquels il faisait face durant sa vie parisienne. Une foule nombreuse a accompagné le défunt hier, à sa dernière demeure au cimetière de Ben Aknoun à Alger. Un cinéaste volontaire Né en 1941 à Sétif, Mohamed Bouamari, a passé sa jeunesse à Lyon, où il a été formé à l'école des ciné-clubs, puis des ciné-pops animés par René Vautier, un nom du cinéma engagé. Bouamari réalise sont premier court métrage ( Conflit ) en 1964, et la même année, il assiste le réalisateur italien, Gillo Pontecorvo, sur le film La bataille d'Alger. Il sera ensuite assistant-réalisateur de Lakhdar Hamina sur Le vent des Aurès ( 1965 ), puis de Luchino Visconti sur L'Etranger ( 1966) En 1969, il est premier assistant réalisateur de Costa-Gavras sur Z. Son premier long métrage, Le Charbonnier ( 1972 ), un film qui lui collera à la peau, glanera, partout où il passe, admiration et distinctions. Le film recevra le 2e Prix au festival de Carthage et surtout le Prix Georges, Sadoul de la semaine de la critique à Cannes. Suivront, ensuite, deux longs métrages essentiels, L'Héritage en 1974 et le Refus en 1982, ainsi que des téléfilms et des documentaires. Bouamari se démarquera, pour son activité militante, au sein du cinéma algérien, notamment en participant activement à la Cinémathèque d'Alger. En 1994, comme tous les artistes qui vivaient sous la menace terroriste, Mohamed Bouamari s'exilera en France et redémarrera une carrière de “ jeune cinéaste ” avec la réalisation, en 1996 du court métrage Nuit. Depuis, Bouamari interprète des rôles pour le cinéma et intervient comme formateur dans différents organismes. Il prépare de nouveaux projets, dans un contexte de plus en plus hostile à la création cinématographique, et contribue au développement de ZALEA TV, la télé libre nationale. La dernière apparition du défunt se fera dans le film, Barakat de Djamila Sharaoui, (2006) où il jouait le rôle d'un chef terroriste aux cotés de son épouse Fetouma.