La plupart des entreprises commerciales et industrielles gèrent leur fiscalité en se focalisant seulement sur son coût, avec cet objectif de payer le moins possible d'impôts. Ibrahim Taouti, avocat au Danemark et en Algérie Elles ne prennent en considération que le seul bénéfice revenant aux propriétaires du capital et ignorent, donc, les intérêts d'autres parties prenantes principales de l'entreprise. Cette gestion fiscale, souvent qualifiée d'agressive, risque de miner l'avenir de telles entreprises et leur rendement à moyen et à long termes. Une politique fiscale pro-active basée sur de bonnes relations avec l'administration fiscale et le gouvernement, ainsi qu'avec ses propres travailleurs, et basée aussi sur une bonne réputation auprès de la clientèle et la communauté en général est plus à même d'exprimer la gestion durable fondée sur la responsabilité sociale. La gestion du risque fiscal est un composant essentiel de la responsabilité sociale des entreprises, mais elle ne peut être limitée au seul critère de prise de décision dans la sphère économique, c'est-à-dire à l'objectif financier de l'entreprise ('economic bottom line'). En effet, au lieu de limiter la vision à l'aspect légal de conformité dans le but de maximiser le bénéfice - et donc de payer le moins d'impôts -, une vision plus saine et plus rentable à long terme devrait inclure le couple risque/opportunités aux plans social ('social bottom line') et au plan écologique ('planet bottom line'). Ceci va mettre en jeu une gamme d'autres facteurs qui pourraient influencer de manière significative la stratégie fiscale et les résultats finaux. Une gestion d'entreprise fondée sur la responsabilité sociale génère un bénéfice durable plus large, car bénéficiant à toutes les parties prenantes, y compris les propriétaires de son capital. C'est une vision stratégique qui inclut les intérêts et les espérances des parties prenantes de l'entreprise devant lesquelles elle se sent directement ou indirectement responsable. Cette stratégie ouvre les possibilités d'un meilleur contrôle à long terme de la valeur ajoutée qu'elle crée. Elle ne limite pas l'impôt au coût à éviter. Elle le gère comme exigence de paiement légitime sur le profit gagné au sein d'une communauté, laquelle a contribué à son enrichissement et qui lui donne implicitement la 'légitimité d'activer en son sein'. Contrairement à une idée répandue, cette approche n'inclut pas nécessairement un paiement de plus d'impôts. Elle implique cependant une large et profonde évaluation de la politique fiscale et de la stratégie d'entreprise que ne le permet la pensée traditionnelle de la seule conformité à la loi exigée. Le nombre de plus en plus important des compagnies qui rendent compte de leurs paiements d'impôts, en tant qu'élément de leur résultat financier dans les rapports de responsabilité sociale, suggère - au moins implicitement - que ce paiement est un élément de sa responsabilité sociale globale. Les nombreuses entreprises qui ont décidé et appliqué cette politique, signifiant la poursuite des pratiques responsables tant au plan social, écologique qu'économique, a souvent permis de générer, alors que l'on s'attendait à des augmentations du coût immédiat, des avantages durables et considérables. Ceci est dû au double fait d'éviter les risques et de saisir les opportunités. Il n'est plus rare d'entendre l'argument selon lequel les compagnies qui s'engagent dans une stratégie socialement responsable et moralement soutenable ne le regrettent pas, car leur décision a conforté leurs propres motivation principale en tant qu'entreprises visant le profit durable. Inversement, les entreprises, y compris les leaders mondiaux dans leur secteur, ont été obligées d'adopter une stratégie responsable après avoir subi des revers dont les séquelles continuent de produire des effets désastreux sur leur réputation et les obligent à des paiements de frais imprévus considérables. La responsabilité internationale des entreprises peut être mise en jeu, y compris au plan pénal. Par exemple, Nestlé(1) est actuellement (novembre 2006) poursuivie aux USA sur la base du principe de compétence universelle(2) pour complicité(3) d'homicide volontaire(4), à côté de paramilitaires(5), car plusieurs de ses managers les ont ouvertement rencontrés à l'intérieur de l'usine Nestlé à Valledupar, au nord de la Colombie. Ceci est également vrai dans le domaine de la fiscalité, où de nombreuses conventions internationales de coopération et d'évitement de la double imposition existent. Si la politique fiscale de l'entreprise doit être conçue et appliquée selon des critères de l'entreprise responsable, cela implique que son service fiscal adopte des mesures de comptabilité et de contrôle économique et ne pas limiter sa vision sur des critères purement financiers à court terme. Le volume de l'impôt finalement payé peut augmenter ou diminuer. Cet impôt sera également payé dans des lieux volontairement choisis. En tout cas, la gestion technique de la fiscalité de l'entreprise devra s'adapter à la nouvelle stratégie afin d'assurer la perennité du bénéfice, en évitant les risques et en saisissant les opportunités. Comment les entreprises pourraient-elles adopter cette stratégie de responsabilité sociale au regard de la fiscalité? Nous décrivons et analyserons deux principes importants tirés de la pratique, principes que nous considérons constituer un cadre robuste pour une approche responsable des politiques fiscales et de planification de l'entreprise. Ces deux principes, celui de responsabilité et de transparence, fondent la stratégie pro-active que nous préconisons. Principe de responsabilité sociale La responsabilité sociale au sens large représente un principe de base. Dans ce contexte, elle se rapporte au besoin des entreprises de faire un exposé de la contribution financière qu'elles apportent à la société par leur paiement d'impôt. Une analogie peut aider à illustrer pourquoi les entreprises sont aujourd'hui tenues de rendre compte, de façon différente, de leurs activités. Quand une société est jugée responsable de ce qui se produit dans sa chaîne d'approvisionnements, c'est-à-dire de la façon de travailler de ses filiales, fournisseurs et sous-traitants, la question a été posée sous forme de responsabilité sociale de ladite entreprise. De nombreuses entreprises n'ont pas compris pourquoi elles devraient être responsables de ce qui s'est produit chez le co-contractant dans une transaction à laquelle elles ont seulement participé en tant que partie au contrat. La réponse peut être vue à partir d'une perspective financière globale, et non dans un cadre seulement interne et purement formel. Certes, la question paraît comme étrangère à l'entreprise, mais une fois vue d'une perspective plus large, des questions telles que la fraude fiscale, l'exploitation du travail des enfants dans leur chaîne d'approvisionnement, du caractère polluant et préjudiciable à la communauté locale, de la discrimination, de la mauvaise qualité des produits, de la sécurité et de la santé des travailleurs, etc. deviennent clairement celles auxquelles chaque entreprise est confrontée. Les entreprises sont impliquées au moins indirectement et peuvent être l'objet de poursuites judiciaires sur la base de la responsabilité du fait d'autrui si elles occupent une place prépondérante dans la chaîne qui va de la matière première au produit offert au consommateur final. Considérée du point de vue de la crédibilité de l'entreprise et du point de vue du résultat financier durable, toute question indirecte a donc été admise comme les concernant au premier chef. Elles ont donc fini par admettre l'argument de leur propre responsabilité, après avoir enfin réalisé que l'impact de tels faits sur leurs engagements contractuels ont des conséquences préjudiciables si ces faits ne sont pas pris en charge à temps de manière proactive. L'approche que la grande majorité des entreprises responsables adoptent à l'égard de la fiscalité est analogue. Les entreprises sont donc jugées responsables de l'impact au sens large de leurs activités économiques, tant du point de vue de leur chaîne d'approvisionnement que de leur politique fiscale. De plus en plus d'actionnaires encouragent d'ailleurs leurs compagnies sur la necessité d'agir en conformité à leur responsabilité de manière qu'ils considèrent adéquate et que cette responsabilité régisse aussi le paiement des impôts. La fiscalité n'est plus seulement un coût à réduire au minimum, mais est une composante clé de leur impact économique au sens large sur la communauté où l'entreprise opère. Cette exigence est aussi, de plus en plus, celle des investisseurs. Comme déjà mentionné, l'important n'est pas la quantité réelle de l'impôt payée, mais le processus de prise de décision au sujet de son calcul, de son paiement et de la révélation que l'entreprise doit faire sur cet aspect à l'opinion publique. Nous concevons que le principe de la responsabilité sociale suggère que la planification des impôts est socialement responsable si: - l'objectif ne cherche pas à déplacer le paiement d'un impôt hors du pays dans lequel les avantages économiques des transactions surgissent. Ceci s'applique aux entreprises étrangères travaillant sur le territoire national; - la planification purement financière des impôts est secondaire par rapport au but commercial principal et ne définit pas à elle seule - ou ne change pas de manière significative - le but de durabilité des bénéfices. Le principe de responsabilité implique le passage d'une responsabilité fiscale passive à une responsabilité active. Essayons de comparer brièvement ces deux stratégies au regard du principe de responsabilité sociale fin de démontrer les avantages de l'option pro-active. Alors qu'une responsabilité passive perçoit l'impôt seulement en tant que coût qu'il s'agit de minimiser au maximum, en s'en tenant à la 'lettre' de la Loi, l'impôt devient, pour l'entreprise responsable, un élément clé de l'impact économique sur la société. Sa lecture de la Loi cherchera à en comprendre 'l'esprit'. Le responsable de la fiscalité dans l'entreprise va éviter d'exploiter les failles des textes et va évaluer les transactions sur d'autres critères que le seul aspect fiscal et financier. Alors qu'une responsabilité passive utilise les plans fiscaux comme une technique en rapport avec la concurrence des entreprises du secteur, la généralisation d'une stratégie pro-active de la gestion de la fiscalité aura tendance à éliminer la compétition sur la seule base fiscale sur un plan plus égalitaire. De plus, si la stratégie passive utilise les techniques d'évitement fiscal, lesquelles focalisent sur le profit et les critères du cash-flow, celle pro-active permet d'utiliser les techniques de gestion de l'impôt controversé en tant qu'éléments de l'impact social et économique de l'entreprise. Certes, l'entreprise socialement responsable respecte les lois de chaque Etat dans lequel elle travaille sans omettre de profiter des avantages différentiels offerts entre les systèmes juridiques. Mais elle déclare ses profits, gère ses prix et paye ses impôts dans les Etats où le bénéfice a été effectivement réalisé. Elle communique enfin largement pour faire connaître sa participation sociale. Mais c'est déjà parler de transparence.