Les justices de plusieurs pays européens en ont après un géant, HSBC, l'une des cinq premières banques du monde, dont elles soupçonnent la filiale suisse d'avoir mis en place une industrie de l'évasion fiscale à coups de sociétés écrans dans des paradis fiscaux. Un soupçon commun né de l'exploitation des fichiers fournis par l'informaticien Hervé Falciani, un ancien de la banque: sise à Genève, HSBC Private Bank aurait, selon une source judiciaire belge, proposé à ses clients la création de trusts ou de sociétés offshores dans des paradis fiscaux comme les Îles Vierges britanniques ou Panama, servant "semble-t-il exclusivement d'écrans" aux détenteurs des avoirs. Si aucune mise en examen n'a jusqu'à présent été prononcée dans l'enquête française, les juges financiers parisiens ont la conviction, selon une source proche de l'enquête, que la filiale suisse de la banque britannique "a bénéficié du produit des faits de fraude fiscale", organisé "l'opacification de flux financiers" et "blanchi les fonds d'origine illicite en permettant à des milliers de clients détenteurs d'avoirs très importants de les soustraire" au fisc. La banque "a mis à disposition de ses clients des comptes au nom de sociétés offshore et les a conseillés afin qu'ils puissent dissimuler leurs avoirs", poursuit cette source. Selon une estimation judiciaire française, pour 60 000 clients chez HSBC Private Bank, "il y aurait 20 000 trusts ou sociétés écrans". Sollicité sur la réalité de ces montages et ces chiffres, le groupe bancaire a répondu prendre "très au sérieux, dans tous les pays où il opère, la conformité avec la loi", et dit soutenir "activement les efforts menés par les gouvernements et les régulateurs dans la détection des activités illégales et la mise en place d'actions appropriées".
Témoignages de clients Le montant de la fraude fiscale présumée reste très incertain. Dans un accord en juin pour constituer une équipe d'enquête commune avec les Français, les Belges relevaient que, "à la date du 16/05/2013, les impôts et les accroissements dus s'élevaient" à 361 millions d'euros "alors que les montants payés s'élevaient" à 15 millions d'euros. Fin 2012, dans une lettre à leurs collègues français, les magistrats espagnols Juan Jose Rosa et Carmen Launa relevaient que les fichiers Falciani sur HSBC avaient permis de démasquer les fraudeurs, contraignant ceux-ci à accepter une régularisation massive, "la plus importante de l'histoire fiscale espagnole". A l'appui de leur conviction, les enquêteurs disposent d'une arme: démasqués par ces fichiers, les fraudeurs ne montrent guère de zèle pour défendre la banque. En France, l'un d'eux, cadre bancaire de haut vol en retraite, leur a expliqué ne pas comprendre "pourquoi l'administration fiscale ne se retourne pas contre la HSBC Private Bank Suisse pour avoir mis à disposition de ses clients des structures offshore". Un autre, qui travaille dans l'import-export avec la Chine, leur a raconté comment un conseiller de la filiale suisse lui avait "conseillé par téléphone de procéder à la création d'une société dans les Îles Vierges britanniques afin de dissimuler les revenus liés à (son) activité professionnelle en France". Un chef d'entreprise explique que c'est la banque genevoise "qui s'est occupée de créer, de monter et de fermer" sa société panaméenne.
'Eluder les charges fiscales' HSBC assure demander à ses "clients d'être transparents pour tout ce qui concerne leurs affaires fiscales, et de se soumettre aux règlementations fiscales en vigueur". "Si un client ne veut pas être transparent pour ce qui concerne ses obligations fiscales, ou si HSBC soupçonne des pratiques s'apparentant à de l'évasion fiscale, le groupe n'engage pas ou cesse toute relation commerciale", affirme la banque. Les justices belge et française se penchent notamment sur l'attitude de la banque dans la foulée de la directive européenne sur l'imposition des revenus de l'épargne (ESD) au début des années 2000, qui visait à éviter que les intérêts financiers perçus par un contribuable d'un Etat de l'Union européenne (UE) résidant dans un autre pays membre n'échappent à l'impôt. En vertu d'une convention de 2004, l'UE reconnaissait en outre le secret bancaire helvète mais les Suisses, en échange, s'engageaient à prélever à la source l'impôt sur les produits financiers pour les résidents de l'UE. Une retenue non négligeable: 15% à partir de 2005 et 35% à compter de 2011. Dans ce contexte, les clients de HSBC Private Bank de Genève auraient été informés par la banque "des alternatives suivantes, soit la souscription de produits non soumis au nouvel impôt; soit la création" d'une société offshore, d'une fondation ou d'un trust "ayant pour vocation de se substituer à la personne physique", explique une source judiciaire française. La première option ne paraissant "pas très attractive" à ces clients fortunés, la majorité a opté pour la seconde "sans autre motif que celui d'éluder les charges fiscales", selon cette source. A ses yeux, la banque a souvent pris "l'initiative de proposer à ses clients un dispositif de contournement de la taxe et de dissimulation des avoirs, alors même que certains clients ne le souhaitent pas initialement". Un service facturé, puisque selon cette source, "pour la création d'une société panaméenne, les tarifs varient entre 850 dollars par an et 3.000 dollars". Une régularisation fiscale de ces clients apparaissait "contraire aux intérêts de la banque", explique encore cette source. Là encore, les enquêteurs disposent de données issues des fichiers Falciani, notamment des comptes rendus, par des chargés de clientèle, de rencontres avec des clients.