Les plages ne sont pas seulement un lieu où l'on se baigne et où l'on se dore au soleil. Pour des dizaines de jeunes, c'est un lieu de travail. Les estivants ne manquent pas de le remarquer, quand des enfants ou des adolescents passent devant les tentes ou les parasols pour leur proposer des mhadjeb, des beignets et même des casse-croûtes. Il y a aussi ceux qui vendent des glaces et des esquimaux dans des bacs réfrigérateurs, d'autres vendent des cacahuètes, des cigarettes, des gaufrettes et des bonbons. Il y a même des boissons chaudes, café et thé, servis dans des gobelets jetables et que beaucoup apprécient après avoir déjeuné. Certains tempêtent à la vue de ces jeunes qui tournent autour des parasols et parfois insistent pour vendre leur marchandise mais beaucoup sont contents d'avoir les cigarettes et déguster le café qu'ils ne peuvent préparer sur place. Certes, ce qui se vend sur les plages est plus cher de quelques dinars par rapport à ce qui se vend à l'extérieur mais on aura compris que c'est le bénéfice de ces petits vendeurs... Les gardiens de parking, eux, comme les loueurs de tentes et de parasols font des bénéfices plus importants : à raison de cinquante dinars par voiture ou de trois cents dinars par tente, ils engrangent de gosses sommes. Ceux qui ont la concession des plages sont en principe également chargés de la sécurité et de l'hygiène mais en général, ils se contentent de ramasser l'argent... A entendre la voix sans voir l'image, l'en croirait à un adulte affrontant les affres de la vie quotidienne : " Vendredi et samedi je vends du pain dans les rues pour aider mes parents et subvenir aux besoins de ma famille. Je ne joue pas avec mes amis pour pouvoir travailler plus. Si mes parents tombent malades, c'est moi qui les prend en charge ". Hélas, c'est un enfant dont l'âge ne dépasse pas les dix ans. Pour un enfant de son âge, sa principale préoccupation devrait être l'école et jouer avec ses camarades du quartier. Cependant, cet enfant est préoccupé par le travail, il doit subvenir aux besoins de sa famille. Hamza, 10 ans, a quitté l'école à l'âge de neuf ans car il ne trouvait plus d'argent pour assurer ses études à cause de la misère dans laquelle vivait sa famille. Il a aujourd'hui 12 ans. Il sait très bien qu'il devait être à l'école avec ses camarades qu'il a quittés sans pouvoir les oublier. Rencontré aux alentours d'un quartier à Baraki, Riyad a eu du mal à nous raconter ses déboires, du premier coup, mais, ayant repris confiance, il a décidé de parler à cœur ouvert. " Je sais bien que je devais être à l'école, mais c'est la situation misérable dans laquelle vivent mes parents qui m'a obligé à travailler et à sortir le matin pour ne revenir qu'à la tombée de la nuit à notre baraque de fortune ", nous révèle Riyad d'une voix attristée. Vendant des plantes et du pain traditionnel " la galette " préparée par sa mère, Riyad veut à tout prix gagner un peu plus d'argent. " Mon but est de récolter une bonne somme d'argent, pour donner la moitié à mon père et l'autre je la garde pour moi, afin que je puisse acheter quelques vêtements ", dira Riyad qui passe de longues heures à marcher. Comme tous les enfants, la période d'été est la saison tant attendue pour Riyad. Il ne s'agit pas d'une période de détente et de vacances, il est question plutôt de doubler ses gains en vendant des " mhadjeb " et des " beignets " préparés à la maison. Visiblement, Riyad dégage une certaine rancœur, cachée au plus profond de lui, envers la société et envers ses parents. " J'ai grandi avant terme ; je me suis privé d'école au moment où les autres enfants de mon âge étaient en pleine scolarité ", fulmine-t-il. Cet enfant n'est qu'un exemple parmi des milliers de gamins qu'on rencontre sur les trottoirs, dans les gares-routières, sur les bas côtés des autoroutes. Leur commerce se limite à quelques produits comme la galette qu'on refile au niveau des voies à grande circulation. Ce phénomène ne cesse de prendre de l'ampleur. Il se banalise dans la société algérienne. Ces scènes d'enfants travaillant ornent nos routes et nos villes. Leurs familles cependant, bien que conscientes du danger qui guette leurs enfants, disent qu'elles n'ont pas le choix. " Nous n'avons aucune ressource. Personne ne travaille pour subvenir à nos besoins. La vente du pain est notre seule ressource. C'est moi qui le prépare. Si le gamin ne le vend pas, nous n'aurons rien à manger ", nous dira sa mère. Avec une voix triste, la maman à Hamza crie sa colère : " J'aurais aimé que mon enfant aille à l'école comme tous ses amis. Mais le destin en a voulu autrement. Allah Ghaleb, nous n'avons pas le choix. La vie est dure et je devais faire avec les moyens du bord ", nous dira sa mère que nous avons rencontrée dans sa demeure, un gourbi situé à côté de l'autoroute. Ainsi, pour elle, la solution et d'y agir avec les moyens de bord, et les moyens de bord, selon son concept, est l'enfant de 10ans.
Regrettable sort de l'enfant Pour les observateurs, la plupart de ces enfants sont issus de familles vivant dans la misère en Algérie. " Ces familles font partie d'une classe sociale défavorisée qui souffrent d'une pauvreté accablante ", estime Hadjer Salima, sociologue. Et d'enchainer : " Ces pauvres enfants se trouvent devant l'obligation de quitter leurs écoles dès le jeune âge pour affronter un monde totalement différent et plein de dangers. Ainsi, ils subissent inexorablement la pression d'un univers nouveau dans lequel ils ont plongé sans être préparés pour cela. Ils sont contraints d'affronter les adultes, les concurrents, les délinquants etc. ", explique cette universitaire qui a fait partie d'un groupe de recherches sur l'enfance. Pour des associations de défense des droits de l'enfant, ce phénomène prend de plus en plus de l'ampleur. Elles dénoncent la banalisation de ce phénomène. Les raisons sont multiples. " En l'absence d'une étude crédible sur ce fléau, les sources se contredisent sur l'évaluation du taux des enfants en milieu de travail. Une lutte organisée entre différents intervenants est plus que nécessaire pour éradiquer ce phénomène ".