Le président de la BCE Mario Draghi a déjà sauvé une fois la zone euro mais il est forcé de reconnaître que ses pouvoirs ne suffiront pas à renouveler l'exploit si les gouvernements européens n'y mettent pas du leur. Après un arsenal conséquent de mesures en juin, la Banque centrale européenne a encore frappé jeudi avec une nouvelle baisse de taux - la septième en moins de trois ans - et l'annonce d'un programme non quantifié de rachat de titres de dette. Objectif: revivifier le marché du crédit, condition pour faire repartir la machine économique et lutter contre le risque de déflation. Mais M. Draghi a également prévenu: "Il sera très difficile d'atteindre l'objectif d'une inflation proche de 2% sur la base de la politique monétaire (...); il faut des politiques budgétaires, il faut des réformes structurelles avant tout, il faut que chacun fasse son travail". "On a le sentiment que la BCE met tout sur la table et que Mario Draghi nous dit que la politique monétaire ne peut pas tout", a réagi Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole CIB. "Le fait que les annonces d'aujourd'hui surviennent trois mois seulement après le dernier feu d'artifice monétaire montre à quel point la BCE est inquiète", renchérit Carsten Brzeski, de la banque ING. Pour lui, l'institution a "presque entièrement vidé sa caisse à outils" d'instruments.
Sauver la face En août 2012, il avait suffi à M. Draghi, alors en poste depuis quelques mois seulement, de quelques mots ("whatever it takes") pour éviter l'implosion d'une zone euro en pleine crise. L'institution n'avait même pas eu à dégainer le fameux programme annoncé ce jour-là à Londres. Deux ans plus tard, les choses sont plus compliquées. La zone euro est en plein marasme, le contexte géopolitique explosif et l'évolution des prix bien loin de l'objectif de la BCE. "Rien faire n'est pas une option" pour celle-ci et son président, analyse Marcel Fratzscher, président de l'institut de recherche allemand DIW, pour qui "les nouvelles mesures reflètent la tentative de la BCE de sauver la face vis-à-vis des marchés et des entreprises". Mais dans le même temps, Mario Draghi lui-même qualifie la baisse des taux décidée jeudi d'"ajustement technique", preuve s'il était besoin qu'il ne se fait pas beaucoup d'illusions sur ses effets sur l'économie. Quant aux autres mesures, elles sont certes à même de donner un coup de pouce au marché du crédit, mais, comme le faisait remarquer récemment le ministre des Finances Wolfgang Schäuble, ce sont avant tout les perspectives de rentabilité qui président aux décisions d'investissement - la mise à disposition de liquidités seule ne fait pas repartir l'économie.
Courtiser Berlin Cela, M. Draghi le sait. Aux côtés de la politique monétaire, "il faut de la croissance", a-t-il martelé jeudi, et c'est aux gouvernements d'en créer les conditions, par le biais de la politique budgétaire et de réformes structurelles. Trois piliers qui ne sont pas sans rappeler les "Abenomics" du Premier ministre japonais Shinzo Abe, note Chris Williamson, du cabinet Markit. Pas question pour autant de laisser filer les déficits, prévient M. Draghi. Dans des propos tenus récemment aux Etats-Unis, certains avaient voulu voir une déviation de cette ligne, alors qu'en Europe le débat entre tenants d'une stricte orthodoxie budgétaire - l'Allemagne - et partisans d'un relâchement de la bride pour soutenir la croissance - Paris, Rome - a repris de plus belle. Pour Christian Schulz, de la banque Berenberg, en insistant sur les réformes, M. Draghi caresse Berlin dans le sens du poil. "Si la BCE veut aller plus loin", et brûler sa dernière cartouche, l'achat massif de dette souveraine, "elle a besoin du soutien tacite de Berlin", et elle ne l'aura qu'en prêchant la bonne parole des réformes structurelles, analyse-t-il.