La Banque centrale européenne (BCE) a observé comme prévu jeudi le statu quo après avoir multiplié les interventions ces derniers mois, mais chemine déjà vers de nouvelles mesures pour soutenir l'économie chancelante de la zone euro. L'institution monétaire de Francfort a maintenu son principal taux directeur à 0,05%, son plus bas niveau historique auquel il avait été porté en septembre, et s'est gardée de faire des nouvelles annonces, après avoir déployé lors des mois précédents un vaste arsenal d'outils dont elle attend désormais les premiers résultats. Mais faisant "un pas de plus", le conseil des gouverneurs "a confié aux services de la BCE et aux comités concernés de l'Eurosystème la préparation en temps et en heure de nouvelles mesures, au cas où elles s'avèreraient nécessaires", a dit le président de l'institution Mario Draghi lors de sa conférence de presse mensuelle. Ces nouvelles mesures pourraient prendre la forme d'un rachat d'obligations - d'entreprises ou publiques sur le modèle américain -, ce qui a immédiatement été salué par un bond des Bourses européennes et un plongeon de l'euro, passé sous 1,24 dollars pour la première fois depuis août 2012. Sur fond d'économie à la peine et devant la menace de déflation, la communauté financière et un certain nombre de gouvernements européens appellent avec ferveur de leurs vœux un "quantitative easing" ou "QE", selon l'acronyme américain utilisé pour les rachats d'actifs. L'OCDE est venue gonfler les rangs du chœur jeudi.
Le QE arrive Pour le gros des analystes, les commentaires de jeudi rendent inéluctable à terme un programme d'achat de dettes publiques, qui présentent l'avantage d'être abondantes et très liquides en Europe. L'institution pourrait sauter le pas dès le début 2015, prédisent les experts de Commerzbank et ceux de Postbank. M. Draghi a précisé que deux critères seront déterminants pour décider de lancer de nouvelles initiatives: l'inefficacité des mesures déjà mises sur les rails, et une nouvelle dégradation des perspectives d'évolution des prix. "Nous savons que les risques s'accroissent et nous savons que nous devons être préparés" à y faire face, a martelé M. Draghi, ajoutant que "l'important, c'est de rester dans les limites de notre mandat". La BCE, qui a une nouvelle fois enjoint les pays de l'union monétaire à ne pas fléchir sur les réformes structurelles pour accompagner ses efforts, a pour le moment répugné à sauter le pas du rachat de dette publique devant l'opposition de certains des pays membres, l'Allemagne en tête. L'institution a déjà mis en œuvre un programme de prêts de longue durée très bon marché pour les banques (TLTRO), ainsi que des achats de produits financiers destinés à fluidifier le crédit en zone euro et par ricochet à dynamiser l'économie. La Bundesbank ne voit déjà pas d'un très bon oeil toutes ces mesures.
Le "boss" M. Draghi a confirmé l'objectif de la BCE de ramener par ces différentes actions la taille de son bilan à son niveau de mars 2012, ce qui implique un gonflement d'environ 1 000 milliards d'euros. Ce chiffre en lui-même ouvre la porte au "QE" car "il ne pourra pas être atteint" avec les seules mesures déjà annoncées, estime Thilo Heidrich, de Postbank. Ce chiffrage en conférence de presse était aussi une manière pour M. Draghi de rappeler qu'il est "le boss", estime Jörg Krämer de Commerzbank. Des informations de presse avaient fait état de critiques au sein du conseil des gouverneurs à l'égard de M. Draghi, en particulier pour avoir avancé publiquement ce chiffre sans consulter les autres banquiers centraux. Interrogé sur de possibles tensions au sein du conseil des gouverneurs de la banque centrale, M. Draghi s'est voulu rassurant, soulignant qu'"il est relativement normal de ne pas être d'accord sur les choses". L'Italie a toutefois concédé la nécessité "de donner des informations aux marchés afin qu'ils interprètent mieux nos décisions", a poursuivi M. Draghi, précisément critiqué pour sa communication imprévisible. "Cette conférence a été une démonstration d'unité et de clarification des actes de la BCE", estime Christian Schulz, de la banque Berenberg.