Le nouveau président du Conseil européen Donald Tusk a pris ses fonctions le 1er décembre, clôturant ainsi le cycle des entrées en fonction au sein des organismes suprêmes de l'Union européenne. Avant de quitter son poste, le président du Conseil européen Herman van Rompuy avait ouvertement pointé le risque d'éclatement de l'UE. Londres et Paris ont prononcé deux déclarations semblant confirmer ses propos. Le premier ministre britannique David Cameron a ainsi promis de lancer une campagne pour sortir de l'UE si Bruxelles ne prenait pas en compte son exigence de durcir la politique d'immigration. En France, la chef du Front national Marine Le Pen a pour sa part l'intention d'organiser un référendum sur la sortie de l'UE après la présidentielle française de 2017, qu'elle a de bonnes chances de remporter. Selon l'Ifop, la popularité de Marine Le Pen est passée de 19% en octobre 2013 à 30% en octobre 2014. Et elle continue de grimper. L'Europe voit les manœuvres de Londres comme un chantage et les déclarations de Paris sur une éventuelle sortie de la France comme une menace réelle. En son absence s'effondre l'idée fondatrice de l'Union européenne, guidée par l'amitié franco-allemande. Face à une telle menace, les leaders de l'UE devraient tout faire pour renforcer l'intégration. Dans leurs discours, ils suivent en effet cette ligne. Par exemple, l'un des principaux arguments pour l'accession de Rompuy au poste de "président de l'UE" était à l'époque la promesse de renforcer le rôle des organismes supranationaux. On disait la même chose de Barroso. Au lieu de ça, ces deux dirigeants ont fait preuve d'apathie quand il fallait agir de manière décisive pour mettre fin aux divergences qui s'approfondissaient au sein de l'UE. En tant qu'hommes politiques expérimentés, ils voyaient forcément que les problèmes. Economiques et sociaux menaient l'UE dans une impasse, et que l'idée de procéder à des réformes structurelles battait de l'aile. Ils étaient forcément conscients que le taux de chômage sans précédent était le terreau de futures protestations sociales. Ils devaient forcément ressentir l'irritation de tout un groupe de membres de l'UE face au diktat de Berlin qui ne faisait qu'accroître davantage la tension en Europe. Malgré tout, l'équipe de Rompuy et de Barroso n'a strictement rien fait pour niveler ces contradictions. Comme si leur mission ne consistait pas à sauver l'Union européenne, mais à la préparer pour ses futures funérailles solennelles. Aujourd'hui, à l'heure où la confrontation avec la Russie achève l'économie européenne déjà affaiblie par la crise de 2008, les déclarations de Rompuy ressemblent à une tentative de se laver les mains. Comme s'il s'empressait de se disculper d'une responsabilité historique pour les erreurs et les prémisses de l'effondrement de l'UE préparées par son équipe. Et qu'en est-il du futur chef de l'Union européenne Donald Tusk, du président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, des nouveaux commissaires européens?
Sont-ils prêts à sauver l'Europe? Pour cela, avant leur entrée en fonctions, ils devaient exposer un programme de réformes, se charger de sa promotion, entamer les négociations avec les dirigeants des pays de l'UE concernant leur mise en œuvre. C'est ainsi qu'agissent des dirigeants responsables face à une catastrophe imminente. Au lieu de ça, ils parlent de la Russie jour et nuit. A la sortie de la première réunion de la nouvelle Commission européenne, Jean-Claude Juncker a solennellement déclaré aux journalistes que son équipe avait décidé de maintenir les sanctions contre Moscou au lieu de présenter un programme de réformes. Dans le même ton son adjoint, Frans Timmermans, a condamné passionnément "l'agression russe". Au lieu de chercher de nouveaux marchés d'écoulement, la chef de la diplomatie européenne Federica Mogherini se prépare à une "réaction coordonnée et commune de l'UE et de l'Otan face à la Russie". Elle qualifie Moscou de "plus grand problème depuis cinq ans". Même discours de la part de Donald Tusk: "Pour Poutine et la Russie contemporaine, l'UE est un problème. Et nous devons comprendre que la Russie n'est pas un partenaire stratégique pour nous. Elle est notre problème stratégique". Russie, Russie, Russie - c'est tout ce qui préoccupe les dirigeants de l'UE. La Russie et les russophones sont responsables de tous nos maux présents et futurs, leur murmurent à l'oreille leurs conseillers américains. Le sociologue Francis Fukuyama et le politologue Zbigniew Brzezinski insistent en disant que Moscou "dépasse les limites de ses frontières" et "détruit l'UE de l'intérieur". Mais quand à la veille d'une crise on commence à désigner des coupables extérieurs, il ne faut pas s'attendre au salut. Les nouveaux chefs de l'Europe font ici preuve d'une indifférence déconcertante. Au lieu de sauver le navire qui coule, ils se sont préparés à toucher le fond en se tenant la main. Et pour se rassurer, ils ont préalablement désigné le coupable. Ce n'est pas leur faute, bien sûr, ni un manque de volonté, ni une incapacité à prendre des décisions responsables. C'est la Russie. Il est tout de même plus honorable de cesser d'exister par sa faute (même imaginaire), qu'à cause de sa propre stupidité.