Les députés ont adopté une loi criminalisant les violences contre les femmes, un texte vivement dénoncé par les conservateurs comme une intrusion dans l'intimité du couple contraire aux valeurs de l'islam. La loi a été adoptée, aujourd'hui, par l'Assemblée populaire nationale (APN) après de houleux débats. Les députés des quatre partis islamistes (MSP, El Islah, Enahda et El Adala) ont boycotté la séance en dénonçant un projet contraire " aux préceptes de la Chariaa " et qui risque, selon eux, de " disloquer la famille algérienne ". La loi veut défendre les femmes contre les violences de leur conjoint, et préserver leurs ressources financières des convoitises de celui-ci, perçu comme le chef de famille dans les sociétés traditionnelles. Ce texte, qui modifie et complète le code pénal, introduit également la notion de harcèlement dans les lieux publics et celle de harcèlement moral conjugal. Il dispose que quiconque porte volontairement des coups à son conjoint, et en fonction des blessures, risque de 1 à 20 ans de prison avec la réclusion à perpétuité en cas de décès. Un autre article prévoit six mois à deux ans de prison pour "quiconque exerce sur son épouse des contraintes afin de disposer de ses biens ou de ses ressources financières". Au sein de l'Assemblée nationale qui ne compte pourtant pas d'islamistes radicaux, des élus ont accusé le gouvernement de vouloir imposer des normes occidentales à une société musulmane. Pour Abdelaziz Belkaid, de l'Alliance pour l'Algérie Verte, évoquer le rôle de la femme dans la famille représente "une ligne rouge" qui ne doit pas être franchie. Le texte est "contraire aux préceptes coraniques et vise la dislocation de la famille", a renchéri son collègue Naamane Belaouar. Stigmatisant la femme, les députés d'El Adala ont réclamé des lois mettant fin "au non port du voile et à la nudité des femmes dans les lieux publics, cause principale des harcèlements" selon eux. Le député indépendant Ahmed Khelif a, lui, estimé que cette loi constitue "un musèlement des libertés de l'homme et une façon de rendre licites les relations extra-conjugales". Selon lui, "il sera plus simple d'avoir une maîtresse que d'être marié et de courir le risque d'être poursuivi en justice pour n'importe quelle faute".
"La violence existe et s'amplifie" Face à ses détracteurs, le ministre de la Justice, Tayeb Louh, a fait l'étalage de ses connaissances des textes religieux, concluant que "les versets coraniques protègent l'honneur de la femme et ne permettent pas d'accepter ce phénomène" de violences à son encontre. "La violence contre les femmes dans notre société existe et s'amplifie", a-t-il observé. Evoquant le droit des femmes de disposer de leur revenus financiers, M. Louh a été applaudi par les députées et chahuté par leurs collègues hommes. Fin 2014, les services de la police ont démontré que les problèmes familiaux venaient en tête de liste des actes de violence contre les femmes avec 4 113 cas pour les neuf premiers mois, soit 58 %. Entre 100 et 200 femmes meurent chaque année de violences familiales selon des statistiques parues dans la presse. Une situation alarmante pour Fouzia Sahnoun du Rassemblement national démocratique (RND) qui parle de "terrorisme familial". Plusieurs de ses consœurs du Front de libération nationale (FLN au pouvoir) se sont félicités de la nouvelle loi, saluant "une avancée" en termes de protection de la femme.
Polémique autour du pardon En dépit des progrès enregistrés dans la législation, ses effets sont limités par l'introduction de la notion de pardon qui peut être obtenu avec des pressions familiales sur la victime. Dans le texte, le pardon de l'épouse met fin aux poursuites judiciaires dans les cas les moins graves, mais elles sont maintenues, bien qu'allégées, dans les plus graves. Soumia Salhi, féministe et syndicaliste qui reconnaît une "avancée", a cependant souligné que "la clause sur le pardon pose problème car c'est une mise en échec de la parole des femmes et un message d'impunité aux auteurs des violences". "Dès lors que l'on introduit le pardon, la loi perd de sa substance", a abondé Oujdane Hamouche du Front des Forces Socialistes (FFS). La juriste Nadia Aït Zai a préconisé de son côté le maintien de l'action publique contre les auteurs des violences même en cas de pardon de la victime. Enfin, Amnesty International a estimé que cette loi est "un pas en avant" mais est "alarmée" par "l'arrêt des poursuites judiciaires en cas de pardon de la victime".