Le secrétaire d'Etat américain John Kerry a dénoncé mardi soir devant un Congrès hostile le fantasme et les chimères d'un éventuel meilleur accord sur le nucléaire iranien par rapport au règlement conclu le 14 juillet par les grandes puissances et l'Iran. Lors d'une audition tendue de quatre heures, M. Kerry a aussi affirmé devant des républicains majoritaires et très hostiles que l'accord était circonscrit à la question du nucléaire et ne concernait pas une hypothétique réforme du régime iranien ou ses agissements déstabilisateurs dans la région. J'insiste: l'alternative à l'accord que nous avons conclu, ce n'est pas un meilleur accord, une sorte de fantasme ou de chimère qui verrait l'Iran complètement capituler, a martelé le chef de la diplomatie américaine. C'est un fantasme, pur et simple. Ce projet a été monté pour régler la question du nucléaire uniquement, pas pour réformer le régime iranien ou pour mettre fin à son appui au terrorisme ou à ses contributions à la violence confessionnelle au Moyen-Orient, a argumenté John Kerry, qui a passé le plus clair des derniers mois à négocier directement avec l'Iran. Le texte a été conclu au terme de 20 mois d'intenses négociations entre l'Iran et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité - France, Royaume-Uni, Chine, Russie, Etats-Unis -, plus l'Allemagne. Ces pays ont accepté de lever progressivement des sanctions internationales en échange de garanties que Téhéran ne se dotera pas de l'arme atomique.
Vote en septembre Mais il rencontre beaucoup de résistance au Congrès, dominé par les républicains. Il faudra au moins deux tiers des élus pour bloquer l'accord, lors d'un vote prévu en septembre, car Barack Obama dispose d'un veto. La plupart des démocrates devraient soutenir le président, assurant a priori que l'accord ne sera pas torpillé. L'opposition des républicains s'articule autour de plusieurs reproches: la procédure d'inspection des sites militaires iraniens, qui peut prendre jusqu'à 24 jours; le transfert probable d'une partie de la nouvelle manne financière iranienne au Hezbollah; les risques pour Israël, opposé à l'accord; la levée de l'embargo lié aux missiles balistiques dans huit ans.
Exaspération perceptible Bombardé de questions, le chef de la diplomatie a laissé filtré son exaspération, parlant par-dessus certains élus et répétant inlassablement son message: mieux vaut un Iran hostile mais sans arme nucléaire, qu'un Iran hostile et nucléaire. Pour les Américains, l'Iran est un crocodile ou un requin qui fait ce qu'il veut, et on va leur donner plus de dents pour voir s'ils agissent différemment, a déploré le républicain Scott Perry dans l'un des échanges les plus vifs. Je n'ai pas de leçon à recevoir sur qui je représente, j'ai représenté et je me suis battu pour ce pays depuis que je suis sorti de l'université, lui a répondu John Kerry. Le républicain Jeff Duncan a affiché les photos de quatre Américains emprisonnés en Iran, haussant la voix pour lancer: leur libération aurait dû être une pré-condition à toute discussion avec l'Iran ! Est-ce toujours la politique de l'ayatollah, selon vous, de détruire les Etats-Unis', a demandé son collègue Ted Poe. Ils ont une politique d'opposition et de grande hostilité. Je n'ai pas connaissance de projet spécifique pour réellement nous détruire, a sobrement répondu John Kerry.
Une nouvelle page De son côté, la chef de la diplomatie de l'Union européenne Federica Mogherini a salué mardi un nouveau chapitre dans les relations avec l'Iran à l'occasion de sa première visite à Téhéran, effectuée moins d'un mois après la conclusion d'un accord nucléaire historique. La visite de Mme Mogherini est survenue à la veille de celle de Laurent Fabius, la première depuis 12 ans d'un ministre français des Affaires étrangères en République islamique d'Iran. L'accord nucléaire conclu le 14 juillet entre Téhéran et les grandes puissances va ouvrir un nouveau chapitre dans les relations entre l'Iran et l'UE, et il s'agit maintenant de le mettre en œuvre, a dit Mme Mogherini lors d'une conférence de presse avec le ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif. Elle a discuté avec M. Zarif et le président Hassan Rohani de leur volonté commune d'appliquer l'accord qui vise à limiter au nucléaire civil le programme iranien contre une levée progressive et réversible des sanctions internationales, et d'entamer un dialogue de haut niveau. De la même façon que des efforts ont été entrepris pour parvenir à l'accord, nous devrions nous concentrer sur son application exacte et complète afin que nos nations et le monde puissent en apprécier les bénéfices, a dit M. Rohani. L'Iran a toujours respecté ses engagements et je n'ai pas d'inquiétude quant à l'application de l'accord. Je sais parfaitement bien qu'il le sera, a affirmé de son côté M. Zarif. Nous avons parlé des mesures qui doivent être prises. Nous atteindrons ce stade d'ici 60 à 70 jours. Téhéran continuera à collaborer avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), j'espère que les Etats-Unis et l'UE continueront à appliquer leurs engagements, a-t-il ajouté.
'Fantasme' M. Zarif a en outre affirmé que son pays et l'UE avaient décidé de commencer une nouvelle phase de dialogue de haut niveau, portant sur la coopération dans les domaines de l'énergie, des transports, du commerce, de l'environnement, des droits de l'Homme (...) des crises régionales (...). L'UE a joué un rôle important pendant les années de négociations entre l'Iran et les puissances du 5+1 (Grande-Bretagne, Chine, France, Russie, Etats-Unis et Allemagne). Mme Mogherini, dont la visite en Iran est la première en tant que chef de la diplomatie de l'UE, avait participé activement à la dernière phase des négociations. Les opposants à l'accord, en particulier Israël, l'Arabie saoudite et les Républicains américains l'ont critiqué à des degrés divers, arguant qu'il donnerait à l'Iran les moyens de renforcer son influence dans la région. Les républicains, majoritaires au Congrès, menacent de le bloquer lors d'un vote prévu en septembre. Le chef de la diplomatie américaine et l'un des artisans majeurs de l'accord, John Kerry, a fustigé mardi leur fantasme d'un meilleur compromis. L'alternative à l'accord que nous avons conclu, ce n'est pas un meilleur accord (...) une sorte de fantasme ou de chimère qui verrait l'Iran complètement capituler. En Iran même, certains conservateurs ont critiqué le compromis, estimant que les négociateurs iraniens avaient fait trop de concessions.
Arabie VS Iran Le jour de la visite de Mme Mogherini, le guide suprême iranien, Ali Khamenei, qui a la haute main sur le dossier nucléaire, a critiqué dans un tweet les Européens. Ces derniers ont causé les plus grandes guerres de l'histoire qui ont tué beaucoup de gens (...) qui nous ont fait du mal aussi. Avant sa venue à Téhéran, Mme Mogherini se trouvait à Ryad où elle qualifié l'accord de signe d'espoir pour le monde entier, tout en assurant qu'elle comprenait très bien les inquiétudes saoudiennes. Elle y a entendu les critiques du ministre saoudien des Affaires étrangères Adel al-Jubeir qui a exprimé sa colère au sujet des déclarations agressives iraniennes. Dimanche à Koweït, M. Zarif a estimé que la région n'avait pas besoin d'un changement de politique de la part de l'Iran mais d'un changement de la part de certains pays qui cherchent les conflits et la guerre, en allusion à l'Arabie saoudite. Le lendemain, à Bagdad, il a de nouveau accusé, sans les nommer, certains pays de la région d'attiser la violence. Ces déclarations montent en puissance, a déploré M. Jubeir, ceci est inacceptable pour nous. Ryad et les autres monarchies sunnites du Golfe accusent l'Iran chiite d'interventionnisme à Bahreïn, en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen et craignent qu'une levée des sanctions ne donne à ce pays davantage de moyens pour soutenir ses alliés régionaux.