Fortement gêné par les venimeuses déclarations de l'ancien chef d'Etat français, Nicolas Sarkozy, envers l'Algérie et la Libye, le président tunisien, Béji Caïd Essebsi, a profité de sa rencontre avec les consuls et les ambassadeurs tunisiens, au palais de Carthage, pour faire quelques mises au point. Béji Caïd Essebsi est en colère et il a tenu à le faire savoir à "ceux qui s'emploient à éloigner la Tunisie de l'Algérie", en inventant une "brouille" entre Tunis et Alger. "Ni brouille ni malentendu entre nos deux pays. Jamais nos relations n'ont été aussi bonnes et notre coopération aussi intense et mutuellement bénéfique", a déclaré le chef d'Etat tunisien, en réaction à tout ce qui a été "rapporté récemment dans certains médias", concernant les relations algéro-tunisiennes, dans un contexte de menace terroriste grandissante en Libye et en Tunisie. "Nul ne saurait surenchérir sur notre fraternité avec ces pays, entamer notre patriotisme ou peser sur notre décision souveraine", a-t-il affirmé, jeudi matin, à l'occasion de la conférence annuelle des chefs de missions diplomatiques et consulaires tunisiennes à l'étranger, a rapporté la presse tunisienne. Ces déclarations, passées presque inaperçues, ont pourtant de quoi susciter la polémique, mais également remettre de l'ordre dans les relations qu'entretient la Tunisie avec ses partenaires étrangers, à commencer par ceux de la rive nord de la Méditerranée. Bien que ce soit son propre parti, Nidaa Tounes, qui ait invité Nicolas Sarkozy, Béji Caïd Essebsi a dénoncé, en des termes diplomatiques, les déclarations venimeuses de l'ancien chef d'Etat français sur l'Algérie et la Tunisie, en lui rappelant le passé colonial de la France. "Nos frères algériens savent plus que tous le prix payé par la Tunisie et sa solidarité avec l'Algérie, comme en témoignent le bombardement de Sakiet Sidi Youssef et la bataille de Bizerte …", a-t-il dit. L'ancien président français avait suscité un véritable scandale en s'attaquant à l'Algérie et à la Libye, avec des propos d'une rare véhémence, allant jusqu'à provoquer l'indignation dans les médias de son propre pays. "La Tunisie est frontalière avec l'Algérie (et) avec la Libye. Ce n'est pas nouveau … Vous n'avez pas choisi votre emplacement", avait déclaré Nicolas Sarkozy devant les caméras des télévisions tunisiennes, lors de sa visite en Tunisie, il y a une dizaine de jours. Avant d'ajouter de l'huile sur le feu en déclarant : "L'Algérie, qu'en sera-t-il dans l'avenir de son développement, de sa situation ? C'est un sujet qui, me semble-t-il, doit être traité dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée", un projet mort-né après l'agression israélienne de la bande de Gaza en mai 2010, alors que Sarkozy défendait bec et ongles la participation de Tel-Aviv à ladite union. Tout en faisant un clin d'œil à son nouvel allié contre le terrorisme, Washington, Béji Caïd a rappelé, en effet, de manière subtile, le passé colonial de la France. "Dans ces épreuves bombardement de Sakiet Sidi Youssef et la bataille de Bizerte, ndlr, les Etats-Unis nous ont assurés de leur soutien. Les choix de la Tunisie tracés par Bourguiba ont toujours été clairs, et dans les équilibres globaux, il avait introduit les Etats-Unis, non seulement parce qu'il s'agit de la plus grande puissance dans le monde, mais aussi parce que ce pays n'a aucun passé colonial", avait-il ajouté. Au-delà du passé colonial de la France, dont l'évocation a toujours incommodé Nicolas Sarkozy, il faudrait peut-être rappeler aussi qu'en pleine révolution du Jasmin 2010/2011, la France avait proposé au régime déchu de Zine al-Abidine Ben Ali son "expertise" pour réprimer les manifestants. Le président tunisien n'égrène pas seulement la France, mais d'autres pays dont il ne cite pas également les noms, comme le Qatar qui a apporté un soutien sans limite à tous les mouvements islamistes proches de la confrérie des Frères musulmans, que ce soit en Tunisie, en Libye, en Egypte ou en Syrie. "Si la révolution libyenne a réussi, elle le doit en bonne partie à la Tunisie qui en est, cependant, la plus lésée", a-t-il regretté, en abordant le sujet de la guerre en Libye, où l'aggravation de la crise est due, selon lui, à la différence d'agendas des pays impliqués, d'une manière ou d'une autre, dans les affaires de ce pays.