La Chine a fortement abaissé hier le taux de référence du yuan face au dollar, affirmant accorder un rôle accru au marché, mais cette dévaluation de facto de la monnaie chinoise... apparaît aussi destinée à enrayer le repli des exportations du pays. Chaque jour, la banque centrale chinoise (PBOC) fixe un taux-pivot autour duquel le renminbi (ou "monnaie du peuple", autre nom du yuan) est autorisé à fluctuer, dans une fourchette limitée à 2% de part et d'autre. Mais en dépit de la volonté affichée par Pékin de libéraliser à terme sa devise, la convertibilité du yuan reste étroitement encadrée, la PBOC ne tenant nullement compte des mouvements du marché. Or, dans une décision surprise, l'institution a ramené mardi ce taux-pivot à 6,2298 yuans pour un dollar, contre 6,1162 yuans lundi. Cette soudaine réduction de presque 1,9% est la plus forte depuis 2005 et la fin de l'arrimage du yuan au dollar. En conséquence, à la mi-journée, le dollar s'échangeait à 6,3030 yuans, contre 6,2096 yuans à la clôture de la veille. Pour autant, la banque centrale a soigneusement évité de parler de "dévaluation", mettant simplement en avant une "nouvelle manière" de calculer son taux-pivot. Désormais, la PBOC intégrera "pleinement" l'offre et la demande du marché des changes, la clôture de la veille et les fluctuations des principales devises étrangères, en vue de refléter plus fidèlement la valeur réelle du yuan, a-t-elle assuré. De fait, sur les quatre derniers mois, le renminbi s'est avéré imperturbablement stable, oscillant dans une fourchette d'à peine 0,4%. "La courbe du yuan ressemblait à une ligne droite", ironise Wang Tao, analyste chez UBS. Pourtant, observe-t-elle, "les forces du marché poussent le renminbi à la baisse de façon persistante, sur fond de ralentissement de la croissance chinoise" et de renforcement du dollar "en perspective d'un durcissement de la Fed (Réserve fédérale américaine)". Le revirement de la PBOC représente "un signal positif pour intégrer les Droits de tirage spéciaux (DTS)", unité de compte du Fonds monétaire international (FMI), analysait pour sa part Liu Dongmin, économiste de l'Académie chinoise des sciences sociales. Pékin, qui encourage activement une internationalisation accrue du renminbi, cherche en effet à lui faire intégrer le panier de devises de référence du FMI. "Un important travail reste à accomplir" pour cela, a cependant averti la semaine dernière l'institution. Un des points centraux de la révision" de la composition des DTS en novembre "sera de déterminer si oui ou non le renminbi est une monnaie librement utilisable", avait insisté le FMI. L'annonce de la banque centrale intervient quelques jours seulement après la publication de statistiques moroses, avec un nouvel effondrement des exportations chinoises en juillet (-8,3% sur un an), une coïncidence relevée par les analystes. De l'avis même de Pékin, le net renchérissement du yuan face au dollar ces dernières années (en mai 2010, un dollar valait 6,82 yuans environ) pèse lourdement sur le commerce extérieur du géant asiatique. A cet égard, le mouvement de la PBOC risque d'être fraîchement accueilli à Washington, qui accuse au contraire la monnaie chinoise d'être considérablement "sous-évaluée", remarquait Qin Huanmei, professeur à l'Université financière de Shanghai. Washington reproche régulièrement à Pékin de dévaluer artificiellement sa monnaie pour doper ses échanges commerciaux --sans toutefois l'accuser formellement de manipulation. Selon Tom Orlik, économiste du cabinet Bloomberg Intelligence, une dépréciation de 1% du taux de change réel du renminbi pourrait doper de 1 point de pourcentage la croissance des exportations du pays. Mais un repli durable du yuan pourrait également accélérer les flux de capitaux hors de Chine, de la part d'investisseurs s'inquiétant de voir fondre la valeur de leurs actifs en yuans. De plus, toute dépréciation du renminbi renchérit automatiquement les prix des matières premières, libellées en dollars, pour les importateurs chinois, pesant potentiellement sur la demande et plombant les marchés mondiaux: l'or et les cours des métaux industriels trébuchaient d'ailleurs de concert mardi. Cependant, "il est très improbable que le gouvernement laisse le marché déterminer seul le cours du yuan, ce serait potentiellement déstabilisant", prévenait Wang Tao. "La révision des DTS (du FMI) est une chose, mais éviter les déstabilisations et les fuites de capitaux sera un enjeu plus important".