L'adoubement du yuan par le Fonds monétaire international (FMI) contribuera à doper son usage hors de Chine et sa place dans les réserves des banques centrales, mais faute d'une libre convertibilité, son essor prendra du temps et restera suspendu aux réformes financières de Pékin. Le FMI a confirmé lundi l'inclusion du yuan au panier de devises déterminant son unité de compte (Droits de tirage spéciaux, ou DTS), lui accordant un statut de monnaie de réserve. Une victoire hautement symbolique pour Pékin, qui ne ménage pas ses efforts pour renforcer le rôle international du renminbi (autre nom du yuan) à la hauteur de sa puissance économique. Pourtant, les répercussions immédiates ne devraient pas être spectaculaires même si la décision du FMI encouragera les grandes banques centrales à diversifier davantage leurs réserves de changes au profit du yuan, notamment sous formes d'obligations publiques. Une trentaine ont déjà conclu des accords d'échanges de devises avec la Chine. "Les banques centrales ne sont pas obligées de s'aligner sur la composition des DTS, mais en pratique elles en tiennent compte. Ce qui devrait se vérifier avec le yuan", surtout vu le poids de la deuxième économie mondiale, soulignait Dariusz Kowalczyk, stratégiste de Crédit Agricole. "En six ans, la part du renminbi dans leurs réserves pourrait grimper de 1,4% actuellement à entre 4,7% et 10%", ce qui impliquerait des achats de yuans totalisant jusqu'à 110 milliards de dollars par an, estimait-il. Mais cette évolution "ne va pas intervenir du jour au lendemain" et dépendra du degré de confiance des institutions, avertissait Raymond Yeung, économiste chez ANZ.
Convertibilité restreinte "Les banques centrales, comme tous les gérants de fonds, préfèrent des devises complètement convertibles et pour lesquelles il existe de vastes marchés des changes et obligataires" où les échanger facilement, abondait Andrew Kenningham, du cabinet Capital Economics. Or "l'attractivité du yuan comme monnaie de réserve restera entravée par son manque de convertibilité et par une +liquidité+ limitée", étant donné la taille modeste du marché de la dette chinoise offshore, énumérait-il. Pour intégrer le panier du FMI, une devise doit être "largement utilisée" et "librement utilisable". Le premier critère ne posait guère problème: le yuan était en septembre la cinquième devise utilisée pour les paiements internationaux, avec 2,45% des transactions --loin du dollar (43%) ou de l'euro (29%) mais au coude-à-coude avec le yen japonais--, selon la société financière SWIFT. La seconde exigence, cependant, faisait débat: loin d'être librement convertible, le renminbi ne peut fluctuer face au dollar que dans une fourchette de part et d'autre d'un taux pivot déterminé quotidiennement par les autorités. Soucieux d'éviter des fuites de capitaux incontrôlées, Pékin continue d'imposer de fortes restrictions aux mouvements de fonds hors du pays. Le récent démantèlement de réseaux accusés de transférer illégalement des centaines de milliards de yuans à l'étranger témoigne de son intransigeance. "L'inclusion aux DTS ne remplacera pas les profondes réformes structurelles (d'ouverture) nécessaires. La Chine a promis de lever ses contrôles sur les capitaux pour 2020: la libre convertibilité reste un horizon lointain", insiste Andrew Colquhoun, analyste de Fitch Ratings.
-Interventionnisme persistant- Certes, la Chine a multiplié les gages de bonne volonté, entamant la libéralisation de ses taux d'emprunt et de dépôts bancaires, ou ouvrant son marché des changes intérieur à des institutions financières étrangères. Surtout, la banque centrale chinoise (PBOC) a modifié en août son mode de calcul du taux-pivot du yuan pour le rapprocher de sa valeur "réelle": si la violente dévaluation qui en a résulté avait ébranlé les marchés, le FMI avait lui salué la mesure. La PBOC s'est félicitée mardi de l'annonce du FMI tout en vantant sa volonté "d'accélérer les réformes financières et d'ouverture". De fait, le gouvernement chinois devra intensifier ses efforts s'il veut vaincre les réticences des investisseurs institutionnels comme celles du secteur privé. Sa politique "imprévisible" et ses interventions chaotiques sur les marchés cet été en plein krach boursier "sont autant de solides raisons de se tenir à l'écart", relevait Mark Williams, de Capital Economics. Enfin, les flux de capitaux hors de Chine devraient continuer d'accélérer en dépit des restrictions, gonflés par la dégradation de la conjoncture et la crainte d'une dépréciation continue de la devise. Dans ce contexte, la PBOC pourrait continuer d'intervenir lourdement pour garantir la stabilité du renminbi car tout relâchement des contrôles conduirait à voir son cours s'enfoncer, étant donné les fondamentaux économiques moroses: "la quadrature du cercle", commentait-on chez Barclays.