Le Pôle Nord a connu une température de l'air aux alentours de 2 °C, une situation due à une forte dépression qui affecte l'Atlantique nord. Habituellement, en ce moment de l'année, il fait de -20 à -40°C en Arctique. Cette dépression a fait connaître à l'est du Canada un Noël exceptionnellement doux (15,9 °C le 24 décembre à Montréal pour des moyennes souvent proches des -10 habituellement). Elle a gagné l'océan Atlantique nord et est actuellement centrée sur l'Islande, entraînant des vents de 140 km/h et des vagues de 15 mètres de haut. "C'est une dépression extrêmement violente et extrêmement puissante, ce n'est donc pas surprenant que les températures chaudes soient poussées si au nord et que des vents violents touchent l'Angleterre" où l'armée a été mobilisée face aux intempéries, a déclaré Natalie Hasell, météorologue au ministère canadien de l'Environnement. "Cette dépression profonde fait avancer de l'air chaud jusqu'au Pôle Nord. Les températures y sont au moins supérieures de 20 degrés par rapport à la normale", se situant actuellement "autour du point de congélation avec 0, 1 et 2 degrés", a ajouté cette spécialiste des épisodes climatiques extrêmes. Des scientifiques américains du North Pole Environmental Observatory (NPEO) ont relevé que le mercure avait brusquement grimpé ces deux derniers jours. Il est passé de -37°C lundi, à -8°C mercredi, sur une balise dans l'Arctique située à environ 300 kilomètres du Pôle Nord, a indiqué James Morison, chercheur au NPEO.
Réchauffement climatique L'Arctique est la région du globe la plus affectée par le réchauffement climatique. Les températures sont dorénavant supérieures de trois degrés minimum par rapport à l'ère préindustrielle, selon les instituts internationaux. Les chutes de neige y sont plus fréquentes, les vents plus violents et la banquise est en constant recul depuis plus de trente ans. Il serait trop tôt toutefois de lier les températures douces observées en cette fin 2015 au Pôle Nord au réchauffement climatique, a mis en garde Mme Hasell. Elle note que les météorologues ne basent pas leurs conclusions "sur une seule anomalie".
"Du jamais vu" D'autant que la météorologie nationale canadienne ne dispose pas d'archives des températures sur le toit de la Terre, a-t-elle souligné. Toutefois, "c'est vraiment bizarre d'avoir des températures autour de 0 fin décembre au Pôle Nord", a-t-elle remarqué. Capitale du territoire inuit du Nunavut, au nord-est du Canada sous le cercle arctique, Iqaluit a enregistré à Noël des températures comprises de -4,6°C et -4,9°C, contre -21°C en moyenne, du jamais vu là encore. L'île de Baffin, sur laquelle se situe Iqaluit, a même connu des pluies en décembre, souligne David Phillips, météorologue au ministère canadien de l'Environnement.
Effet "El Niño" "C'est sans doute El Niño qui s'aventure au Nord", a-t-il affirmé à propos de ce phénomène climatique qui survient tous les quatre à sept ans en moyenne. Provoqué par un changement de sens des alizés au-dessus du Pacifique équatorial, El Niño connaît en 2015 un épisode probablement le plus puissant depuis les 100 dernières années. Conjugué au réchauffement climatique, il a généré des épisodes météorologiques extrêmes: inondations, tornades, vagues de chaleur.
2015 extraordinairement chaude L'année 2015, extraordinairement chaude, va battre le record de 2014 sous l'effet du phénomène El Niño, estime le climatologue Jean Jouzel, qui appelle chacun d'entre nous à agir contre le réchauffement planétaire. Au niveau planétaire, nous sommes vraiment dans une année exceptionnelle puisqu'elle est un peu plus d'un dixième de degré plus chaude que l'année 2014, qui elle-même était une année record, déclare l'ancien vice-président du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (Giec) dont les travaux ont alerté le monde sur le réchauffement. C'est un véritable saut, un dixième de degré d'une année sur l'autre, alors qu'en moyenne nous sommes sur un rythme de réchauffement moyen (...) d'entre un centième et deux centièmes de degré par an, relève-t-il. Selon l'Institut météorologique britannique, en 2015, la hausse des températures mondiales par rapport à l'ère préindustrielle aura atteint 1 degré. La température exceptionnellement élevée en 2015 est due à El Niño, un phénomène naturel, souligne M. Jouzel. Depuis environ six mois, une large partie du Pacifique est, du côté des côtes chiliennes et péruviennes, est exceptionnellement chaude, beaucoup plus chaude que sa valeur moyenne.(...) Alors que ces eaux chaudes sont normalement à l'ouest de l'océan Pacifique, elles sont à l'est, et ça décale tout --tous les phénomènes de précipitations, de sécheresse dans toute la ceinture tropicale équatoriale, explique-t-il. A l'échelle planétaire, El Niño conduit à une année extrêmement chaude. Mais on ne s'attend pas à un dixième de degré de hausse chaque année, ça nous amènerait à un réchauffement de dix degrés à la fin du siècle, c'est inimaginable, souligne le climatologue. Selon les prévisionnistes, El Niño se terminera en milieu d'année 2016, ce qui fera très probablement de 2016 de nouveau une année chaude, mais il est assez probable que les années suivantes soient moins chaudes que 2014, 2015, 2016, ajoute-t-il. En dehors d'El Niño, un des risques du réchauffement climatique indubitable est de provoquer des hivers de plus en plus doux, qui se traduisent très souvent par des précipitations importantes et des risques d'inondations, rappelle-t-il.
Agir tout de suite A la conférence de Paris il y a quelques semaines, la communauté internationale s'est fixée pour objectif de contenir le réchauffement bien en deçà de 2 degrés par une limitation des gaz à effet de serre. Ça va être difficile de rester en dessous de deux degrés, estime Jean Jouzel. Ca nous laisse entre 20 et 25 ans d'émissions au rythme actuel. Il faudrait en gros atteindre le pic d'émissions des gaz à effet de serre en 2020, et puis entre 2020 et 2050 les diviser par trois à l'échelle planétaire. C'est difficile mais ce n'est pas impossible. En revanche, contenir la hausse en dessous de 1,5 degré, comme le souhaitent les pays les plus vulnérables, notamment les petites îles menacées par l'élévation du niveau des océans, c'est inaccessible ou quasiment inaccessible parce que si on voulait maintenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5 degré, on n'a plus que cinq à dix ans au maximum d'émissions au rythme actuel. (...) Ça voudrait dire changer immédiatement pratiquement de mode de développement. Si on veut laisser aux jeunes d'aujourd'hui un monde facilement vivable à la fin de ce siècle, il faut agir tout de suite, de façon extrêmement volontariste, avertit le climatologue. Selon lui, chacun d'entre nous a un rôle à jouer dans cette lutte contre le réchauffement. A travers des gestes, des décisions de chaque jour, nous pouvons nous-mêmes influer sur une bonne moitié des émissions en France, ce n'est pas rien, souligne-t-il, évoquant pêle-mêle le choix des moyens de transport, l'isolation de l'habitat, l'alimentation... Une mobilisation très forte des entreprises est également très importante, estime Jean Jouzel. Selon lui, beaucoup d'entreprises comprennent qu'elles ont une carte à jouer dans leur développement en termes de lutte contre le réchauffement, dans la mesure où celle-ci est inéluctable.