Les convulsions économico-politiques du Venezuela provoquent l'inquiétude à Cuba, mais l'île, qui a tiré la leçon de sa dépendance à l'ex-Union soviétique, est désormais mieux armée pour faire face à un éventuel changement de présidence chez son principal allié et à ses conséquences économiques. Engagée dans un processus de rapprochement avec les Etats-Unis et l'Union européenne, Cuba observe de très près la crise institutionnelle qui secoue le Venezuela, soutien indéfectible de l'île depuis l'arrivée aux commandes d'Hugo Chavez, au tournant des années 2000. A Caracas, l'opposition vient de prendre le contrôle du parlement et a engagé un bras de fer avec les chavistes fidèles au président Nicolas Maduro, successeur et dauphin de Hugo Chavez, décédé en 2013. Cela fait deux ans que de nombreux observateurs évoquent l'épée de Damoclès qui menace l'île à mesure que s'essouffle le projet socialiste vénézuélien. Effondrement des prix du pétrole - dont le Venezuela recèle les plus importantes réserves mondiales - inflation exponentielle et pénuries à répétition ont précipité la large victoire de l'opposition aux législatives du 11 décembre. A terme, l'éventuel remplacement des chavistes à la tête de l'Etat pourrait coûter cher à l'économie cubaine, fortement dépendante des 100 000 barils de brut achetés à prix d'ami à son allié vénézuélien, qui en outre paie à Cuba 70% de ses exportations de services, principalement médicaux. Toutefois, les scenarii type Armageddon à Cuba n'ont plus cours et ne procèdent pas d'une analyse objective, juge Arturo Lopez-Levy, politologue au sein de l'Université de Texas Rio Grande Valley.
'Realpolitik' La dépendance (au Venezuela) est substantiellement inférieure aujourd'hui à ce qu'elle était en 2013 et Cuba présente une économie plus diversifiée qui lui permet d'affronter tout impact négatif, soulignait récemment dans un rapport l'économiste cubain Juan Triana, de l'Université de La Havane. En décembre dernier, l'agence de notation Moody's relevait aussi que Cuba avait diversifié avec succès son économie pour compenser la chute des liquidités en provenance du Venezuela. Cette diversification a été notamment rendue possible par l'allègement des sanctions économiques américaines contre Cuba, notamment celles restreignant les voyages sur l'île communiste, et la progression de l'activité touristique a amélioré les perspectives économiques du pays, selon Moody's. En 2015, Cuba a accueilli un nombre record de 3,5 millions de visiteurs, confirmant le rôle moteur du secteur touristique pour l'économie de l'île. Carlos Blanco, économiste vénézuélien et professeur à l'Université de Boston, est convaincu que le rapprochement engagé fin 2014 avec les Etats-Unis répond à l'impératif de prévenir une éventuelle rupture avec le Venezuela. Ce n'est pas la première fois qu'un changement de direction est pris à Cuba pour des raisons pragmatiques. Au début des années 1990, Fidel (Castro) l'a fait au moment de la dissolution de l'URSS et maintenant Raul au moment où l'appui vénézuélien s'étiole, explique-t-il, résumant la méthode cubaine en un mot: Realpolitik. La chute du bloc soviétique, qui vampirisait 72% du commerce extérieur cubain, avait plongé Cuba dans la pire crise économique de son histoire, conduisant les autorités à prendre des mesures drastiques et à ouvrir le pays au tourisme.
Subventions cachées Avant que les nuages ne viennent s'accumuler au-dessus du gouvernement de Nicolas Maduro, le commerce entre les deux alliés caribéens avait déjà commencé à décliner. Entre 2012 et 2014 le commerce de biens avec le Venezuela avait baissé de 15%, passant de 48 à 40% du total des échanges de l'île, relève Carmelo Mesa-Lago, de l'Université de Pittsburgh. Selon cet économiste cubain, le Venezuela n'a de toutes façons pas les moyens de continuer à payer ces sommes énormes à Cuba, qui sont en réalité des subventions cachées. En parallèle, l'île a débloqué certaines voies menant aux marchés financiers, parvenant notamment à conclure un accord avec les créanciers du Club de Paris qui ont récemment accordé à Cuba l'annulation de 8,5 milliards de dollars de dette. Depuis la mort d'Hugo Chavez, Cuba a eu le temps de diversifier dans une certaine mesure ses sources de devises, et les données de la balance des paiements suggèrent également l'accumulation de réserves internationales, souligne l'économiste cubain Pavel Vidal, de l'université de Cali, en Colombie. Si l'opposition (vénézuélienne) parvient à couper les envois de pétrole et le paiement des services médicaux, la croissance cubaine pourrait être limitée à 1,8% en 2016, explique M. Vidal, suggérant finalement un impact limité, si l'on s'en tient à la prévision de croissance de 2% du gouvernement cubain.