b) Le principe de légalité La légalité de la nature et de la quotité de toute contribution, ainsi que de la détermination aussi bien des redevables que des bénéficiaires est importante. Cela signifie qu'aucune contribution n'est légitime dans sa nature et sa quotité, ainsi que dans la détermination du contributeur et du bénéficiaire, en l'absence d'un fondement textuel tiré du Qur'an, de la Sunna, de l'ijma' ou du qyas. Cette règle a un équivalent partiel dans la Constitution algérienne, notamment en son article 61 (Nul impôt ne peut être institué qu'en vertu de la loi). Mais si le principe de légalité est consacré, il n'y a qu'un seul bénéficiaire: l'Etat. Le Hadith du Prophète disant que la zakat est prélevée sur les biens des riches pour être distribuée aux pauvres n'est pas rendu. D'autre part, la fiscalité étatique risque d'être injuste. Par exemple, en l'absence de conventions internationales, il y a risque de double imposition d'une personne ou d'une entreprise ayant des activités transnationales. Inversement, la 'territorialité' de l'impôt empêche d'imposer les nationaux qui réalisent des revenus à l'étranger, alors qu'ils bénéficient de la protection diplomatique et des services consulaires. En fiqh, après un premier ordre (surat Attawba, verset 103): Prélèves sur leurs biens un don pour les purifier et les rendre meilleurs..., suit le second (verset 60) pour déterminer les huit catégories de bénéficiaires: "Les dotations sont pour les pauvres, les nécessiteux , ceux qui oeuvrent pour elle, ceux dont les coeurs sont à rallier, les esclaves à libérer, les endettés et dans la voie d'Allah, les voyageurs à court de subsides. Obligation décrétée par Allah, le Savant, le Sage". La première catégorie concerne les pauvres qui, d'après Ibn Qodama ne peuvent se procurer l'indispensable (kifaya) nécessaire pour subsister un jour. La deuxième catégorie touche les résidents, musulmans ou non, moins pauvres. La troisième catégorie recouvre ce que les finances publiques modernes qualifient "les moyens de service" permettant d'assurer le fonctionnement de l'administration. La quatrième est réservée aux coeurs à rallier, personnes physiques ou entités. La cinquième catégorie exprime le souci de l'Islam à prohiber graduellement l'esclavage et révèle sa méthode pragmatique et progressive pour y arriver. - La sixième mérite que l'on s'y attarde un peu. Les endettés cité au Qur'an concernent aussi bien des victimes d'inondation et autres catastrophes que ceux menacés de faillite, de fermeture d'établissement, d'arrêt de travail, etc. Beaucoup d'auteurs ne voient dans la zakat que son aspect social comme le professeur Jean Esposito, écrivant qu'elle "consiste à obliger les riches à céder une part proportionnelle de leurs biens aux pauvres et aux nécessiteux, (et) représente indéniablement un important moyen de redistribution des revenus" , ou comme l'éminent Malek Bennabi qui écrivait à ce propos : "En édictant la dîme de zakat, c'est tout le fondement d'une législation sociale que le Qur'an a posé, avant que les idées sociales que nous connaissons aujourd'hui ne circulent dans le monde" . Certes, l'idée dans l'économie moderne selon laquelle l'impôt est l'un des moyens de la justice sociale n'est pas nouvelle pour le musulman. Mais c'est également un instrument économique et politique. En se basant aussi bien sur l'histoire que sur l'exégèse du Qur'an, plusieurs auteurs affirment que la dotation destinée aux endettés évite aussi la faillite des agents économiques en difficulté conjoncturelle et ses conséquences dramatiques sur les plans social, économique, voire politique. Le terme endettés utilisé par le Qur'an ne distingue pas les dettes contractées pour la consommation de celles des investissements. Les endettés ne sont pas des pauvres mais des personnes aisées ayant un besoin temporaire de trésorerie liquide . La part qui leur revient est une dotation définitive et non un prêt à restituer. L'ayant-droit de cette dotation peut l'investir ou le consommer comme il ressort d'un Hadith , d'après lequel, Salem Ibn 'Abdellah Ibn Omar, citant son père, a dit que celui-ci ayant reçu la part de zakat lui revenant aurait dit au Prophète (PSASL) : "Donnez-la à plus pauvre que moi". L'Envoyé d'Allah (PSASL) répliqua alors: "Prends ce qui te revient de ces biens que tu n'as ni demandé ni qu'il ait excité ton envie de l'avoir, investis-le, consommes-le ou fais-en un bienfait". La septième, la part prévue par le Qur'an dans la voie d'Allah ouvre de larges perspectives au gouvernement qui dispose ainsi d'une ressource permanente pour son budget destinée à être dépensée dans l'intérêt de la communauté en fonction des besoins et des situations. La huitième est destinée aux voyageurs démunis restés sans subsides. Cette catégorie concerne tout étranger trouvé dans le besoin en terre musulmane, ce qui peut tout aussi bien inclure les réfugiés politiques et humanitaires. c) Le principe de l'universalité des contributions islamiques L'histoire de l'Islam consacre l'universalité des finances publiques islamiques. La pérennité du système fiscal musulman est telle que les circonstances sociales ou historiques ne peuvent le modifier, ce qui lui donne une stabilité à toute épreuve. Omar Ibn El-Khettab donna l'ordre lors de son entrée en Syrie de secourir les chrétiens malades et les indigents (nécessiteux - massakin) de toutes confessions à l'aide des contributions islamiques levées dans l'intérêt général. Le respect par l'Islam de la croyance des gens non musulmans justifie qu'ils ne soient pas redevables de la zakat en raison de son caractère de dévotion religieuse. C'est ainsi que les non-musulmans vivant sur le territoire musulman ne doivent pas la zakat au Beyt al-mel. Néanmoins, leur contribution est réglementée sur la base égalitaire avec les musulmans sur les mêmes principes: une exemption légale de base (85 gr. d'or) qui doit être déduite de l'assiette servant à son calcul; une périodicité identique (année lunaire). En contrepartie, s'il y a égalité du service public pour tous, les obligations ne sont pas identiques, notamment celle du service militaire. C'est ce qui justifie le taux de 5% au lieu de 2,5%. Ils y contribuent par deux types d'impôts, l'un personnel appelé symboliquement "jizya", dû per capita (par personne), calculé sur une base modique dans une fourchette de 1 à 4 selon l'état de la fortune, et l'autre sur le revenu agricole du capital immobilier, en distinguant si la terre est donnée en concession par l'Etat musulman. Quant au revenu non agricole, l'impôt "ghrama" appelé improprement "a'chour" par plusieurs auteurs représente en réalité cinq pour cent du revenu. Dans l'histoire de l'Algérie, la contribution sur le revenu agricole a été appelée kharaj et sur d'autres revenus "hokkor" . Quant aux musulmans, ils payent la zakat, calculée sur un taux de 1/40°, c'est-à-dire 2,5% du patrimoine dépassant le seuil légal d'exemption. Cette contribution s'applique aux récoltes, au bétail, aux numéraires et marchandises. On l'appelait "lazma" au sud de l'Algérie lorsqu'elle s'appliquait au revenu des palmeraies. Les contributions sur le revenu agricole sont calculées sur la base de la charrue (attelage, soit 8 à 10 hectares) après un recensement fait au moment des labours. Le paiement et la liquidation (calcul réel) se faisaient au moment des récoltes. Le paiement peut se faire en espèces ou en nature . Pour le kharaj dû par les non-musulmans, le paiement est fait en espèces. Ce calcul est identique aussi bien pour les terres " melk " que pour les terres collectives ou tribales ('arch). Lorsqu'on parle de non musulmans en Algérie, il s'agit des juifs vivant sur le territoire et qui ne payaient que la moitié du taux légal de la Jizya, appelée sur leur demande kharaj. Ce système immuable et égalitaire a tous les caractères de l'universalité. L'Emir Abdelkader a maintenu ce système. Toutefois, les circonstances de la guerre sainte contre l'agresseur l'ont conduit à instaurer une nouvelle contribution appelée " Ma'una " qui, comme son nom l'indique, est destinée à recevoir l'aide au trésor de guerre que les musulmans alimentent spontanément et volontairement. L'Emir Abdelkader n'avait à aucun moment violé le principe de légalité puisque sa décision repose sur la sunna du Prophète (PSASL) qui recourut au même principe pour ses ghazawat (Honeyn, Tabouk, etc.). Ce caractère universel des contributions islamiques est confirmé par le principe de l'a'chour. Il s'agit d'une contribution indirecte touchant les importations de l'Etat islamique. Elle remonte au khalife Omar Ibn El-Khettab. Un jour, il fût informé que les commerçants musulmans exportateurs étaient imposés au dixième de leurs transactions avec les étrangers. Il a alors décidé, en application de la règle (toute moderne) de la réciprocité, de réglementer cette contribution due par les étrangers importateurs . L'a'chour était payé sur tous les postes frontaliers de l'Etat islamique soit en espèce soit en nature. Cette taxe n'était pas due par les musulmans selon un Hadith rapporté par tous les livres des sunnan. Des auteurs ont expliqué autrement la prescription de l'A'chour, la fondant sur un Hadith. Un propos de l'Envoyé d'Allah (PSASL), selon Hard Ibn 'Obeyd 'Allah Athaqafi citant son grand père, dirait: " les musulmans ne sont pas redevables du dixième ". Il suffit pour les Sunnites, pour établir la légalité d'une réglementation, de la pratique de l'un des Khalife Arrachidoune sur la base d'un Hadith ou de l'ijma'. C'est par erreur que les historiens assimilent zakat et A'chour ou maks. Si Ibn Al Athir affirme que le " maks " est une taxe du dixième prise par le "makas" (préposé à la taxe sur le marché intérieur) Edhahabi et El Baghaoui considèrent que le maks (taxe) est un péché capital (min El-Kabair). d) Le principe de la décentralisation Par prescription religieuse les contributions doivent d'abord servir les besoins locaux. Le musulman voit sa contribution financer par priorité son entourage, quartier, puis commune, wilaya et ainsi de suite si l'importance des recettes le justifie. La fiscalité algérienne actuelle viole cette règle. La décentralisation des contributions et de leur consommation sur place est fondée sur le Qur'an (Sourates " Al-Ahzab ", v. 6, " El-Anfal ", v. 75. . . ) et sur la pratique du Prophète (PSASL) et des Khoulafa Arrachidoune. Ce qui doit être transféré au Beit-El-Mel central est le surplus, lorsque les besoins locaux sont satisfaits. C'est ainsi que durant la période turque, les Bey (chef de provinces) n'envoyaient à l'autorité centrale les surplus du Beit-el-mel que tous les trois ans. Au niveau décentralisé, les khalifa ou aghas qui dépendaient du Bey (provincial) ne remettaient les surplus que tous les ans et recevaient en une audience solennelle le " caftan " qui les confirmait dans leur fonction. A un niveau plus décentralisé encore, il faut distinguer selon l'histoire de l'Algérie, quatre institutions, deux pour le milieu urbain et deux en milieu rural. En ville, l'" amin " collectait les contributions mobilières des musulmans commerçants et artisans et le " moqadem " collectait les contributions des juifs et chrétiens. Dans le milieu rural, le " jouad ", responsable des " awtan " musulmans collectait la zakat alors que le " caïd " collectait les redevances des terres laissées en fermage c'est-à-dire essentiellement le kharaj. Il y avait des rapports entre toutes ces institutions notamment à propos de conversions à l'Islam ou encore à celle de l'intervention des tribus " makhzen " qui contribuaient à la collecte des contributions, ce qui leur ouvrait droit à la quote-part fondée sur le Qur'an (environ 1/8° des recettes en espèces ou en nature). e) Le principe de la déclaration et du paiement spontanés Etant un système voulu et consenti, il ne peut être que déclaratif, c'est-à-dire spontané. La fiscalité algérienne actuelle conforte cette règle. Le système des contributions islamiques réglemente avec précision les quotités payables et leur périodicité. Les principes de légalité de l'exemption d'un seuil de base et celui de la périodicité annuelle (année lunaire) sont consacrées. L'assiette est déterminée sur la fortune restée durant une année lunaire dans la propriété du redevable après déduction, d'une part, d'un seuil d'exemption de base équivalant à 85 grammes d'or (soit environ 100.000 dinars ou 1100 euros) et, d'autre part, des dettes et des besoins de base (nourriture, habit, logement, transport) du redevable. Ces règles s'appliquent aussi aux contributions des non musulmans. La fiscalité algérienne actuelle conforte les principes de l'abattement à la base et de la déduction des charges, mais sans atteindre leur niveau d'exemption. Ce système répond à plusieurs situations y compris exceptionnelles. Ses prescriptions facilitent pour le musulman la connaissance de son devoir religieux. C'est donc spontanément et volontairement qu'il calcule les contributions qu'il doit respecter. Rien n'empêche qu'il fasse oeuvre de piété en dehors du Beit-el-mel, c'est-à-dire au bénéfice de ses proches et de ses voisins. Selon un Hadith du Prophète (PSASL) rapporté par Abu Houreira : " Sept bénéficieront de l'ombre (protectrice) d'Allah le jour où aucune ombre n'est protectrice sauf la sienne (. . . ) celui qui fera une aumône en cachette, au point où sa main gauche ignorera ce qu'a remis sa main droite " (Sahih de Moslim et de Boukhari). Mais la zakat étant un rite, c'est scrupuleusement qu'il doit être exécuté. Le musulman l'établit avec conscience pour s'en acquitter. 2. La part coloniale de la fiscalité algérienne L'étude de l'histoire de la colonisation a établi que si le système colonial britannique se contente de gouverner, celui des français a toujours imposé ses institutions avec leur effet destructurant. Il est tout de même curieux que des chercheurs comme Kandil ou Alexandre parlent de modernisation et de rationalité pour qualifier le système fiscal de la colonisation, alors qu'un Bugeaud que l'on ne peut suspecter d'algérianité écrivait: " vous leur faites payer des impôts que d'après leur loi, ils ne doivent que pour les oeuvres religieuses, vous les soumettez à des corvées continuelles soit pour approvisionner vos colonnes et vos places, soit pour labourer les terres de leurs étranges civilisateurs, vous les faites marcher avec nous à la guerre contre leurs frères. Enfin pour tous les points vous blessez les moeurs, leurs intérêts, leur religion " . La colonisation française a commencé par démanteler les bases de la richesse par l'usage de différents procédés touchant l'assiette, c'est-à-dire la base économique qui constitue la matière imposable. Elle a ensuite exercé, par la contrainte, une pression constante sur le système fiscal musulman afin d'y mettre fin, remettant en cause le système de redistribution des richesses. Elle a enfin graduellement substitué un système fiscal inadéquat au système musulman. La fiscalité ségrégationniste ne faisait qu'exprimer la nature même de la colonisation. Le statut des Algériens est exprimé par le régime répressif de l'indigénat , qui exclut l'exercice de la citoyenneté, limite la liberté d'expression et enclave la population 'assujettie' par rapport à l'évolution politique du monde, notamment musulman . Ibrahim Taouti, avocat au Danemark et à Alger, Lawhouse