L'accumulation des réserves de changes suscite des questionnements dans beaucoup de pays et plus particulièrement dans un pays comme la Chine qui affiche des montants impressionnants en progression d'année en année. Si pour certains, à l'image de la Norvège ou de Singapour, le problème ne se pose plus en raison du statut de cette richesse versée au patrimoine dédié aux générations futures, il reste que pour d'autres, les réserves ont pour entre autres fonctions celle d'absorber les chocs éventuels aussi bien interne qu'externe et de constituer ainsi un rempart à toute agression économique. La crise asiatique est passée par là. Les réserves de changes dans le monde dépasseraient les 5000 milliards de dollars, selon les estimations arrêtées à fin décembre 2006. La Chine (1100 milliards de dollars) et le Japon (895 milliards de dollars) détiennent 40% de ces encours, soit 2000 milliards de dollars. En additionnant ceux de la Corée du Sud et de Singapour, le rapport se situe à un peu plus de 50 %, et le total des pays d'Asie du Sud-Est représente les deux tiers des réserves mondiales. Cette partie du continent asiatique domine indubitablement les autres, et son poids ne cesse de s'accroître. Les pays du Moyen-Orient se situent plus loin mais avec des niveaux appréciables. L'Algérie a enregistré à fin 2006 : 77,78 milliards de dollars, ce qui représente un bon pactole. Deux pays ont particulièrement contribué à la croissance des réserves au cours de l'année 2006 : la Chine et la Russie. Au premier trimestre 2007, la Russie a annoncé détenir un volume de 340 milliards de dollars alors que la Chine a franchi largement la barre de 1100 milliards de dollars. Les synergies de ces deux pays qui sont de véritables sous-continents à tout point de vue sont cependant différentes, la Russie bénéficiant de la manne pétrolière et la Chine de la très bonne tenue de son commerce extérieur soutenu par des exportations en constante évolution et une baisse des importations (de l'ordre de 13% par rapport à 2005) ainsi que des flux d'investissements directs étrangers. En termes de composition en devises, des réserves de change, les titres en dollars demeurent toujours majoritaires malgré les avatars de la devise américaine. Mais la part du billet vert dans les réserves de changes n'est plus ce qu'elle était depuis la naissance de l'euro. La monnaie unique voit de plus en plus sa quotité dans les réserves des banques centrales augmenter sensiblement. Dollar et euro représentent l'essentiel des avoirs de ces institutions. Le dollar ne représentait plus d'après les données du FMI que 64,7% des réserves de changes des banques centrales au quatrième trimestre 2006, contre 65,8% au cours des trois mois précédents. C'est le plus faible niveau atteint par le billet vert ces huit dernières années, c'est-à-dire depuis l'entrée de l'euro sur la scène monétaire. L'euro supplante ainsi petit à petit le roi vert et la menace devient sérieuse lorsque des pays comme la Russie, la Corée, l'Iran, l'Indonésie, les Emirats arabes unis brandissent la monnaie unique comme part prépondérante dans leur trésor de guerre. Selon le FMI, la part de la monnaie européenne atteint désormais 25,8%, au plus haut depuis qu'elle a été baptisée en janvier 1999 alors qu'elle ne représentait que 18,1%. Les autres monnaies (livre sterling, yen, franc suisse) se partagent les miettes. La part dominante du dollar est logique compte tenu du fait que, à l'échelle mondiale, ce sont les Etats-Unis qui ont le principal besoin de financement (65,1 % du total mondial selon les statistiques du FMI au 27 mars 2006). Ce besoin est généré par l'énorme déficit de la balance courante des Etats-Unis (805 milliards de dollars en 2005 et 763 en 2006). Une modification rapide et significative de la répartition des devises dans les réserves de changes reste hypothétique, dans la mesure où la dépréciation du dollar qui s'ensuivrait induirait des pertes en capital pour les détenteurs de réserves. Une dépréciation, même modeste, du dollar permettrait de réduire "sans heurts" les déséquilibres mondiaux, estime le Fonds monétaire international (FMI) dans un rapport publié dernièrement. Dans le cas chinois comme dans les autres cas similaires, il est légitime de se poser la question de savoir si les réserves de changes ne sont-elles pas excessives dans la mesure où leur encours représente à peu près 15 mois d'importations, ce qui réduit pratiquement à néant les risques de crise de balance des paiements. La fonction prudentielle des réserves de change est donc très largement remplie. En revanche, en tant qu'élément d'une partie de l'épargne nationale, on peut s'interroger sur le bien-fondé du placement des réserves sur des titres libellés en dollars ou en euros. La rémunération générée est peu au regard de l'intérêt que procurerait une utilisation nationale des fonds considérés. Les réserves de changes chinoises sont, dans une certaine mesure, une forme de thésaurisation. C'est pourquoi, Pékin veut faire fructifier les mille milliards de dollars qu'elle a accumulés. Elle envisage de s'inspirer de l'agence d'investissement créée par Singapour et baptisée Temasek pour faire fructifier ses 1.000 milliards de dollars, en chargeant une agence spécialisée d'en investir une partie, alors que des voix s'élèvent dans le pays pour que ce trésor serve plutôt à réduire la pauvreté. En fait, c'est tout le problème de la fonction des réserves de changes.